lundi 25 septembre 2017

Né par PMA, « j’ai grandi avec l’idée que j’allais pouvoir dire merci au donneur »

Alors que l’ouverture de la PMA à toutes les femmes est débattue, de jeunes adultes issus de cette technique veulent la levée de l’anonymat du don de gamètes.
LE MONDE Par 
Le jour de la révélation, Clément Roussial avait 12 ans. Il se doutait de quelque chose. Il ne ressemble pas à son père. Il se l’est toujours dit. « Je me demandais si je n’avais pas été adopté », relate le jeune homme de 27 ansCe jour d’automne, ils sont en train de pêcher tous les deux quand son père se met à lui expliquer sa conception. Infertile, il n’est pas son géniteur. Clément est né par procréation médicalement assistée avec le sperme d’un donneur. « Je me suis jeté dans ses bras en lui disant que ça ne changeait rien », poursuit-il. Sur le coup, c’est un soulagement. « Je la savais enfin, cette fichue vérité. »


Mais, une fois le secret de famille percé, reste ce que le jeune homme appelle un « secret d’Etat ». Celui de ses origines biologiques. Depuis la loi de bioéthique de 1994, le don de gamètes est anonyme en France. Le système est à l’époque calqué sur celui du don d’organes. Le père officiel doit passer pour le père biologique. Groupe sanguin, couleur de la peau, des yeux… : le donneur est sélectionné pour lui ressembler le plus possible. Seuls les parents et les médecins impliqués sont au courant. Depuis le début des années 1970, près de 70 000 enfants seraient nés de cette façon. Beaucoup sont devenus adultes. On ignore combien connaissent leur mode de conception. Mais certains d’entre eux demandent des comptes.

« Machine à fantasmes »

Clément Roussial est vice-président de l’association Procréation médicalement anonyme, qui organisait samedi 23 septembre à Paris une table ronde intitulée « Sortir du secret ». Une trentaine de personnes nées grâce au don étaient présentes, ainsi que des parents et des donneurs favorables à la levée de l’anonymat. Le moment est pour eux crucial. La révision des lois de bioéthique doit avoir lieu en 2018. L’ouverture de l’accès à la PMA avec donneur aux couples de femmes et aux femmes seules fera partie de la discussion.

« Le débat actuel sur la PMA oublie qu’elle existe depuis les années 1970, plaide Audrey Kermalvezen, membre de l’association. Je ne suis pas contre son ouverture, mais ce serait un non-sens d’aller plus loin dans les mêmes conditions, de créer d’autres enfants privés d’une partie de leur histoire. Au début les choses ont été faites de manière empirique, mais aujourd’hui nous sommes là pour dire que les enfants deviennent des adultes qui doivent avoir le choix de connaître ou non leur géniteur. »

Ils ne cherchent pas un père, mais des réponses. « Je suis né d’une personne, pas d’un matériau de reproduction, poursuit Clément Roussial. Ne pas savoir, c’est une machine à fantasmes. J’ai besoin de savoir pour mieux me connaître. Je voudrais une image, comprendre ses motivations. »
L’idée que l’identité de leur donneur est consignée dans un dossier qui reste hors d’atteinte les taraude. « Je suis en colère que l’on m’interdise d’avoir ces informations, dit Rémi. J’ai appris que j’étais né d’un don à l’âge de 5 ans. Ça ne m’a jamais posé problème. J’ai grandi avec l’idée que j’allais pouvoir un jour dire merci au donneur. »

« Mettre une image sur du vide »


Il y a aussi un aspect pratique : les personnes nées de don ne connaissent pas les antécédents médicaux du donneur. La menace d’une consanguinité avec un ou une partenaire tourne en outre dans toutes les têtes. Aujourd’hui le nombre d’enfants issus du même donneur est limité à dix. Mais il n’existe aucun fichier national des donneurs. Et avant 1994 aucune limite n’était fixée.

« Mon père restera toujours mon père, prévient Caroline, 26 ans, venue avec sa sœur jumelle, Sophie, et leur mère. Mais le donneur, c’est une partie de moi, quelqu’un qui a fait que j’ai été créée. »Dans la famille, tout le monde était au courant du mode de conception des jumelles, sauf elles. C’est la nouvelle compagne de leur père qui leur a annoncé, quand elles avaient 16 ans, en plein divorce de leurs parents, « entre la poire et le fromage », précise Caroline.

Pour elle, ce fut « libérateur »« J’avais des troubles de l’identité et du comportement alimentaire, jusqu’à être hospitalisée, relate la jeune femme. Enfin je comprenais. » Sa sœur, Sophie, parle d’un « effondrement intérieur ». Aujourd’hui elles voudraient en finir avec « ce point d’interrogation ».

« A l’époque, je ne me suis posé aucune question, dit leur mère, Isabelle. Pour moi c’était naturel. Cela a sans doute été plus compliqué pour leur père. C’est difficile quand on n’est pas accompagné. Je comprends les tourments de mes filles, elles ont besoin de mettre une image sur du vide. »

Jusqu’à présent, la levée de l’anonymat a toujours été rejetée au nom de la protection des parents et des donneurs, et de la crainte d’une chute des dons. « C’est un mythe, affirme Stéphane Viville, professeur au CHU de Strasbourg, présent lors de la réunion. Dans les pays qui ont levé l’anonymat, le profil des donneurs a changé, mais leur nombre n’a pas chuté ou a augmenté, comme en Grande-Bretagne. »

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