vendredi 4 août 2017

A Paris, des enfants des rues, drogués et violents, laissent les services sociaux désemparés

Par Vibeke Knoop Rachline, Journaliste norvégienne à Paris et Franck Orban, Maître de conférences à Oslo — 
Les tentatives de prise en charge de ces mineurs isolés marocains, âgés de 10 à 17 ans, par la municipalité parisienne se sont soldées par des échecs

LE MONDE  | Par 

Quelques-uns sont revenus, à moins qu’ils ne soient jamais partis. D’autres sont arrivés. Plus nombreux. Dans le petit square Alain-Bashung, situé au cœur du quartier de la Goutte-d’Or, à Paris (18e), ils sont une trentaine ce jour-là à traîner leur « misère », disent-ils, et leurs corps écorchés. Tous sont mineurs, isolés et originaires du Maroc. Le plus jeune garçon a 10 ans, le plus âgé, 17 ans. Il y a quelques mois, une quinzaine d’enfants et d’adolescents sont ainsi apparus pour la première fois dans les rues de la capitale.

Dépassés par leur jeune âge, leur forte consommation de drogue – ils sniffaient de la colle dans des sacs en plastique –, leur violence et leur refus de se soumettre aux règles des services de l’aide sociale à l’enfance, les pouvoirs publics et les habitants ont été pris de court. Les tentatives visant à les prendre en charge se sont soldées par des échecs. Un phénomène inédit.

Sinistre défilé


« Ils fuguaient à la première occasion, raconte-t-on à la Mairie de Paris. De cette première vague, nous n’avons réussi qu’à en sauver deux ou trois. » La plupart ont disparu. Certains seraient partis à Montpellier, d’autres auraient regagné l’Espagne, une poignée se seraient réfugiés dans un squat du 20e arrondissement. Et des nouveaux ont fait leur apparition. Dont quelques jeunes filles.

Le square Alain-Bashung est devenu le théâtre d’un sinistre défilé. Les uns après les autres, ils montrent leurs blessures. Coupures profondes au bras, à la main, à l’oreille, à la tête, à la joue, brûlures au torse et au cou… Ils racontent tous la même histoire, confuse et désordonnée, avec quelques mots de français.

La plupart vivaient déjà dans la rue au Maroc, ils sont arrivés à Paris en passant par Tanger, Melilla (Espagne), Barcelone ou Madrid. « En train, prétend Amine, 17 ans, originaire de la ville de Fez. Mais sans payer les billets. » Amine a des yeux fatigués et des traces de scarifications sur les avant-bras. « Je me suis fait ça tout seul, confie-t-il. J’ai tellement souffert, je n’en peux plus. » Les brûlures qu’il a sur le corps, en revanche, sont récentes. Samir, 13 ans, casquette noire vissée sur ses cheveux décolorés, présente plusieurs entailles à la main droite et au bras. « Ici, à Paris, on se fait démolir par des Algériens du quartier », assurent-ils.

Amine explique : « Certains pensent qu’on gêne leur trafic de drogue en attirant l’attention ou nous disent qu’on salit leur pays d’adoption, alors ils s’attaquent à nous. » Un autre adolescent renchérit : « Ils nous poussent à voler, nous donnent des pilules puis nous rackettent. » Si Amine prétend ne pas vouloir entendre parler des « sniffeurs de colle », d’autres ne cachent pas le joint qu’ils tiennent entre leurs doigts. Une forte odeur de cannabis émane du square, mais les petits sacs en plastique contenant de la colle semblent avoir disparus.


« Ils font la misère au quartier »


A part leurs survêtements usés, leurs baskets et leurs blousons à capuche, ils n’ont rien. « Alors oui, admettent-ils sans détour, on vole. » Derrière le comptoir de sa petite supérette du coin de la rue, Faouzi Ben Omrane se désole.

« Ils font la misère au quartier, souffle-t-il. Ils sont de plus en plus nombreux, très jeunes et volent les sacs et les bijoux des femmes dans la rue. » En revanche, ils ne vandalisent plus les vitrines et ne sniffent plus de colle, observe le commerçant, installé ici depuis 1967. « Ils ont dû passer à autre chose », avance le patron de Ben’s. Ou ceux-là ont quitté le quartier. Certains semblent avoir investi un ancien garage abandonné du 20e arrondissement.

« Nous passons tous par la gare de l’Est ou la gare du Nord, raconte Amine. C’est là, par le bouche-à-oreille, que nous savons où aller. » Au nord ou à l’est de la capitale. Depuis deux mois, sur la place Octave-Chanute, les habitants sont les témoins d’un inquiétant ballet : une quinzaine de jeunes adolescents vont et viennent entre la rue du Capitaine-Marchal et le métro de la porte de Bagnolet, ils se lavent le visage à la petite fontaine de la place et tentent de refourguer aux passants des portables ou des bijoux volés.

« Ils ont l’air complètement shootés et sont dangereux, lance Alex Adly, 72 ans, un pilier du quartier, patron du Country Bar depuis vingt-huit ans. Ils se tapent dessus et se baladent avec des couteaux. » « Je les ai entendus parler, ils sont marocains, affirme une habitante. Ils escaladent une poubelle pour pénétrer dans un garage abandonné. »


« Etat de santé inquiétant »


Depuis l’apparition des premiers mineurs isolés marocains il y a cinq mois, la Mairie de Paris et les différents services de protection de l’enfance tentent de les prendre en charge, sans parvenir, pour l’instant, à comprendre leur trajectoire exacte. Ni à déterminer s’ils sont sous la coupe de passeurs et de trafiquants.

Eux restent muets sur le sujet. Mais ils prétendent que personne ne les aide. Des travailleurs sociaux, ils en voient pourtant tous les jours, admettent-ils. « On vient nous parler et prendre nos noms, mais rien de plus, personne ne s’occupe de nous », assure Redouane, 14 ans, dans le 18e. L’un prétend avoir été chassé d’un foyer, un autre dit en être parti « parce qu’ils étaient tous racistes ».

Les discours sont incohérents. « Nous avons tout essayé pour les héberger, mais les structures traditionnelles ne fonctionnent pas, ils n’ont pas l’habitude des règles alors ils s’enfuient à peine arrivés, raconte-t-on à la Ville. Nous avons donc modélisé un dispositif ad hoc, dont l’accès est très encadré mais plus libre. » Ce lieu d’accueil devrait bientôt ouvrir ses portes.

La mairie du 18e, soulignant leur « état de santé inquiétant » et l’« exceptionnelle gravité » de la situation, a relancé les dispositifs d’urgence : maraudes, procédure en lien avec le parquet pour éloigner les jeunes filles… En attendant, alors que la nuit s’apprête à tomber, le square Alain-Bashung se vide. Ses jeunes occupants du jour se dispersent par petits groupes pour trouver un coin où dormir.

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