vendredi 7 juillet 2017

Simone Veil : choses moins vues








Paris, le samedi 8 juillet 2017 – D'innombrables hommages ont été rendus à Simone Veil depuis l’annonce de sa disparition la semaine dernière. La cérémonie organisée aux Invalides ce mercredi aura permis de constater combien l’émotion de ses proches est partagée par la nation toute entière. Les médecins blogueurs n’ont pas manqué aussi de participer à cet élan. Certains ont, comme les autres, rappelé les éléments les plus marquants de l’existence et de la carrière de Simone Veil. Le dermatologue auteur du blog Les billets d’humeur du dr a ainsi évoqué : « Vous nous avez permis une réponse non clandestine, consentie, réfléchie certes uniquement par la femme, à une grossesse non désirée ou inattendue, parfois malgré une contraception jugée maîtrisée». Le praticien rappelle également encore l’hostilité qu’elle a dû alors affronter.

Privée du droit de se prononcer contre la corrida… en raison de sa loi pour l’IVG !
Ces insultes ne se sont pas tues avec l’adoption de la loi. Simone Veil a évoqué comment elle a régulièrement reçu des lettres n’hésitant pas à poursuivre l’ignoble amalgame entre les morts de la Shoah et l’avortement. Ces élucubrations scandaleuses ont parfois été publiques. Le praticien hospitalier Jean-Paul Richier rappelle ainsi sur son blog hébergé par Mediapart les propos honteux de l’Observatoire national des cultures taurines (ONCT). « En juillet 2011, Simone Veil avait eu le malheur de prendre position contre la corrida, et de se prononcer contre l’accès des moins de 16 ans à ces spectacles, en signant le manifeste de la FLAC (Fédération des luttes pour l’abolition des corridas, ndrl) », rappelle le médecin. Une telle prise de position lui valut un cinglant communiqué du président de l’ONCT, André Viard. Mal orthographiant son nom,  André Viard écrivait : « A ce qu’elle écrit, madame Weill souscrit à l’idée d’interdire l’entrée des arènes aux enfants de moins de seize ans, "n’ayant jamais apprécié les corridas du fait de la violence et de la cruauté qui en émanent". Ces accusations de cruauté et de violence, les associations qui se battirent contre elle au nom du droit à la vie des humains les lui dédièrent aussi, en l’accusant de légaliser l’assassinat des fœtus dans le ventre de leurs mères. Ce qui ne l’empêcha pas, au nom de sa propre morale, de faire voter en 1975 la loi sur l’IVG. Depuis, au rythme de 220 000 interruptions volontaire de grossesse pratiquées chaque année en France, soit un avortement pour trois naissances, en 35 ans, ce sont donc environ 7 millions et demi d’être (sic) humains en puissance qui ont été privés du droit d’exister. L’équivalent de trois fois la population de Paris. Les chiffres de ce – inscrivez ici le mot de votre choix – perpétré au nom de principes dont il ne s’agit pas ici de débattre, madame Weill les connaît bien, ce qui aurait dû l’inciter à plus de décence : peut-on justifier l’avortement des humains et condamner la mort du toro ? » éructait alors le porte-parole de la tauromachie. Pour Jean-Paul Richier, il ne fait aucun doute que la mention « inscrivez ici le mot de votre choix » fait directement allusion à l’idée de « génocide », ce qui est une nouvelle manifestation de l’ignominie des détracteurs de Simone Veil et la confirmation d’une haine toujours réactivée.

Simone fait un tabac !

A l’instar de Jean-Paul Richier qui nous offre cette histoire édifiante, les blogueurs ne se sont pas toujours contentés de revenir sur les épisodes les plus connus de l’histoire de Simone Veil. Le médecin et journaliste Jean-Yves Nau, avec tendresse, posta par exemple une vidéo du ministre de la Santé, datant de 1975 où l’on voit Simone Veil évoquer la lutte contre le tabac. Il remarque quelques détails piquants en reprenant cette phrase à propos de l’interdiction de fumer dans certains lieux publics : « Les restaurants ? Je ne crois pas que l’on ira jusque là, je ne l’envisage pas ». Il relève également cette remarque à propos des avertissements sur les paquets de cigarette : « Nous étudions quel impact cette mesure a eu dans les pays où elle est actuellement en vigueur comme les Etats-Unis. Il ne semble pas que le fait qu’il y est un petit papier sur le paquet de cigarette disant "les cigarettes sont mauvaises pour vous" aient un grand impact. Alors je ne crois pas qu’on l’imposera. Voilà ». S’il n’y avait guère dans ces quelques secondes télévisées de quoi réellement égratigner l’icône, certains se sont cependant émus qu’un plus juste hommage ne soit pas rendu au rôle de Simone Veil dans la lutte contre le tabac. Après la diffusion de cette vidéo, Jean-Yves Nau reçut un message du docteur Anne Borgne, membre de SOS Addictions et présidente du Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions (RESPADD) (addictions qui occupèrent beaucoup Simone Veil lors de son deuxième passage au ministère de la Santé avec la mise en place des programmes de substitution aux opiacés et d’échange des seringues). « Je suis assez étonnée » indique Anne Borgne « que personne ne cite la loi Veil imposant, en 1976, l’interdiction de fumer dans les lieux publics ; loi qui a fait le lit de la loi Evin, puis du décret Bertrand qui nous amène à l’énorme avancée de la régulation de l’usage du tabac aujourd’hui », cite Jean-Yves Nau. De fait cette loi méconnue a signé un pas important dans la lutte contre le tabac, instaurant également l’obligation de la « mention de l’avertissement sanitaire "abus dangereux"» auquel le ministre croyait pourtant si peu un an auparavant.

Silence et détermination

Plus méconnu encore aura été le rôle joué par Simone Veil dans la diffusion d’une information plus objective sur les médicaments. L’anecdote est rapportée par le docteur Dominique Dupagne sur le blog A toute.org, anecdote jamais rendue publique et qu’il tient de l’un des principaux protagonistes. Dominique Dupagne rappelle comment avant la fin des années 70, les monographies que l’on retrouvait dans le Vidal (dont l’acte de naissance remonte à 1914) n’étaient pas toujours des modèles de neutralité. Cette dernière a fini par se transformer en une des nombreuses spécificités qui font le charme français (ou qui prêtent à rire de la France). Ainsi, en 1976, un des conseillers de Simone Veil, Jean-Pierre Bader, professeur de gastro-entérologie et pharmacologue « participe à des commissions internationales sur le médicament ». Dans un récit retranscrit par Dominique Dupagne, il décrit comment lors de l’une de ces commissions, il a participé « à un dîner regroupant des pharmacologues. Je suis assis à côté d’un collègue américain qui représente la Food and Drug Administration (FDA) et qui parle français. Quand il apprend que je représente la France, il s’exclame :"Waouh, vous, les français, vous avez un truc extraordinaire ! c’est le dictionnaire VIDAL ! À la FDA, quand une réunion se prolonge et que nous sommes tous un peu fatigués, je sors un VIDAL et je traduis une page ou deux à mes collaborateurs. On rigole un bon coup, ça nous détend, et on peut recommencer le travail. Vraiment, merci, votre dictionnaire des médicaments est trop marrant !". Je ris jaune. Dès le lendemain, je parcours la dernière édition du VIDAL (1976). Il avait malheureusement raison : le contenu du dictionnaire des médicaments utilisé par tous les médecins et pharmaciens français était absolument pathétique. Je m’en ouvre à Simone Veil et lui propose de monter une commission pour contrôler et réécrire l’information contenue dans le dictionnaire VIDAL. Elle me donne carte blanche. Je recrute un jeune pharmacologue, Jean-Michel Alexandre, qui crée avec quelques collègues une commission chargée de reprendre une à une toutes les monographies des médicaments ». Pourtant, face à la fronde des industriels, dont certains, tel Jacques Servier, se déplacent en personne au ministère de la Santé, le directeur de cabinet du ministre va tenter de lui faire entendre "raison". Une rencontre est alors organisée entre Jean-Pierre Bader, Jean-Michel Alexandre, le chef de cabinet et le ministre. « Le chef de cabinet explique à la Ministre à quel point la situation est tendue, du fait des pressions de l’industrie du médicament sur l’appareil politique. Je prends ensuite la parole pour lui expliquer l’importance de notre rénovation du VIDAL pour la santé publique française. Je termine en déclarant que je me conformerai à ses directives. Suivent quelques secondes de silence qui me paraissent interminables. Elle lève les yeux pour réfléchir, puis me fixe du regard, et me dit d’une voix ferme "Monsieur Bader, vous continuez". Fin de la réunion ! J’adore cette histoire, qui honore la mémoire de Simone Veil. Elle illustre une capacité peu répandue chez les hommes (ou femmes) politiques : celle de se mettre en difficulté pour faire avancer une cause juste » conclut Dominique Dupagne offrant ici un nouvel éclairage de la détermination et de la lucidité de Simone Veil.
Si vous partagez ce désir de mieux connaître celle à laquelle la France rendra une nouvelle fois hommage dans quelques semaines à l’occasion de son entrée au Panthéon, vous pouvez vous rendre sur les blogs de :
Et Dominique Dupagne : http://www.atoute.org/n/article357.html.
Aurélie Haroche

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