mercredi 12 juillet 2017

Codéines : témoignages, portrait-robot et modes d'emploi des jeunes consommateurs

Roxane Curtet
| 11.07.2017



La consommation de médicaments codéinés seuls ou en association tend à augmenter ces dix dernières années dans diverses classes d’âges. Dès 2013, des demandes suspectes de délivrance de ces produits ainsi que des cas d’abus voire de dépendance chez des adolescents et jeunes adultes sans antécédents connus d’addiction ont fait l’objet de plusieurs signalements au Centre d'Évaluation et d'Information sur les Pharmacodépendances (CEIP) avec une nette hausse en 2015. Récemment, l’ANSM a émis différents messages d’informations et de prévention de ces comportements à destination des professionnels de santé impliqués. Or, les dernières observations du dispositif Tendances Récentes et Nouvelles Drogues (TREND) de l’OFDT (Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies) publiées ce mardi confirment l’ampleur du phénomène, notant que ces utilisations sont surtout constatées sur la façade atlantique du pays (Nouvelles Aquitaine).

Les signalements émis proviennent principalement des pharmaciens qui pointent des ventes répétées ou en grande quantité de ces médicaments à des jeunes, voire très jeunes (14-15 ans). Un des professionnels vivant à Marseille parle même de stratégies menées en duo : « l’un va chercher un sirop pour la toux ; l’autre vient à la suite demander un antihistaminique prétextant une allergie. » À Bordeaux, des signaux émergent aussi de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). En parallèle, plusieurs hospitalisations aux urgences ont donné l’alerte sur des pratiques dont les conséquences peuvent s’avérer dramatiques.
Des jeunes adultes, peu ou pas usagers de drogues illicites, excepté le cannabis
Les principaux consommateurs identifiés par le dispositif TREND auraient entre 17 et 25 ans.Point positif, si certains utilisateurs sont mineurs (entre 14 et 15 ans) les consommations dans cette tranche d’âge demeurent peu développées. Si les collégiens se montrent intéressés et posent en grand nombre de questions sur les cocktails à base de médicaments codéinés en milieu scolaire, hormis quelques cas, ils passent rarement à l’acte avant le lycée. À Marseille, on remarque ce type d’usage aussi bien parmi des lycéens scolarisés en filière généraliste que professionnelles. Les consommateurs sont également des jeunes adultes ayant une activité professionnelle précaire, sans que l’on distingue de différence notable entre filles et garçons.
En majorité, ces produits sont consommés dans des fêtes privées comme lors des soirées étudiantes ou dans un cadre plus restreint d’« une soirée entre potes ». Un observateur lillois raconte : « un jeune de 18-19 ans skateur, intégré, qui vit chez ses parents m’expliquait que leur délire en ce moment, c'était ça, de choper des sirops codéinés… Il faisait ça en soirée privée avec ses potes, quasi toutes les semaines, apparemment ». Les usages peuvent parfois aussi avoir lieu à l’occasion d’examens au lycée ou à l’université. Des intervenants CJC lyonnaises ont, par exemple, constaté une banalisation du recours aux médicaments au moment du baccalauréat, ce qui participa à normaliser l’usage de spécialités médicamenteuses dans ce contexte.
Le Purple drankla Lean, le Codé Sprite ou le cocktail bleu, pour se détendre
Le principal intérêt de ces substances serait simplement de s’amuser entre amis. En effet, les codéinés seraient avant tout utilisés de façon récréative. Certains jeunes ont affirmé avoir été influencés par le rap, « parce que ça fait très star system », ou avoir été attirés par la nouveauté. Les consommateurs décrivent rechercher un effet planant, proche du cannabismais qui détend davantage avec une sensation de « ralentissement du rythme cardiaque ». Une étudiante dentaire de Bordeaux évoque « une impression de légèreté, comme de voler mais des fois des nausées et la tête qui tourne ». Les utilisateurs mentionnent par ailleurs des sensations d’ivresses analogues à celle de l’alcool. Ces mélanges représentent donc une alternative pour ceux qui ne consomment pas de boissons alcoolisées notamment pour des raisons culturelles. Enfin, des effets hallucinogènes dissociatifs sont également cités en particulier via l’usage détourné du dextrométhorphane.
Pour arriver à ces fins, les recettes de cocktail restent sensiblement les mêmes. Pour la lean, un sirop codéiné est mélangé à un antihistaminique et un soda avec parfois de la grenadine ou des bonbons. Euphon, Tussipax, Tussidane, Klipal ou Néocodion (sirop ou comprimé) sont fréquemment cités. « Ils retirent un quart du liquide contenu dans la bouteille de Sprite, ajoutent 3 à 20 comprimés de Phenergan et attendent que le « gaz monte » (sic). Un flacon d’Euphon est ajouté, ainsi que des bonbons – dragibus ou Jelly Ranch », donne comme exemple un Groupe focal sanitaire basé à Paris. Ces modes de fabrications s’inspireraient de ceux relayés par les rappeurs américains, et ce, sans que les jeunes ne se réclament forcément de la culture hip-hop. Toutefois, à Rennes, une diversification des recettes est observée avec notamment de l’ajout d’alcool. À Marseille, c’est du cannabis qui est ajouté à la liste des ingrédients. En plus de ces cocktails, on remarque à Bordeaux et à Marseille, des pratiques d’extraction à froid de la codéine contenue dans des médicaments comprenant du paracétamol.
Les Codés vus comme « aussi inoffensifs qu’un joint »
La facilité d’accès et le faible coût de ces produits sont des critères attractifs surtout pour les très jeunes. Éviter les dealers est aussi un argument qui pousse les jeunes à recourir à ce procédé, ceux-ci ayant le sentiment de se procurer une substance moins puissante que les drogues.
Pourtant, ces usages détournés les exposent à une série de troubles sanitaires plus ou moins sévères. À court terme, des effets secondaires sont une altération de la qualité du sommeil, des problèmes de transit, des démangeaisons. Lors des hospitalisations, des évènements plus importants ont été rapportés comme des troubles du comportement, de la vigilance ou des crises convulsives généralisées. À plus long terme, une accoutumance peut survenir et aller jusqu’à la dépendance. De même, le risque de surdose est majoré par le mélange des molécules et la consommation d’alcool. L’ANSM a comptabilisé deux cas de décès de jeunes consécutifs à l’abus de ces médicaments en 2017.
Ces conséquences demeurent peu connues chez les jeunes, en partie parce que ces substances sont des médicaments. Leur utilisation n’éveille pas de crainte car ils sont considérés comme des produits de santé pour traiter une maladie, vendus en pharmacie et ayant fait l’objet d’une batterie de tests avant d’avoir pu être commercialisés. Les risques encourus demeurent donc mal identifiés voir proprement ignorés.

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