samedi 17 juin 2017

La santé mentale, une chose trop grave pour être confiée aux seuls psychiatres

Il est nécessaire de publier le décret réformant les soins en psychiatrie, qui acte notamment la nécessité des thérapies psychosociales, explique dans une tribune au « Monde » les associations du collectif Schizophrénies.

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par 

TRIBUNE. Les derniers chiffres de l’Assurance-maladie le rappellent : la santé mentale, avec 7 millions de personnes et des dépenses de 19,3 milliards d’euros, pèse en France plus lourd que le cancer. Elle est pourtant loin de bénéficier d’une mobilisation collective à la hauteur.

La schizophrénie est emblématique de ce traitement de défaveur. Peu de Français connaissent la vraie nature de cette maladie du cerveau, son ampleur (600 000 personnes, touchées en ­majorité entre 15 et 25 ans) ou ­encore les prises en charge recommandées. Pour ces jeunes, la maladie est sévère, et, dans bien des cas, en France, le système de soins aggrave les choses.


Notre service public de la psychiatrie présente un statut d’exception en ­médecine : aussi incroyable que cela puisse paraître, il dispense ses soins sans protocole, sans guide de bonnes pratiques et sans évaluation de résultats. Concrètement, les prises en charge sont la chasse gardée de la seule psychiatrie et se déroulent bien souvent selon un même scénario : des hospitalisations brutales et des soins bornés à la prescription de médicaments. Elles aboutissent à un même résultat : n’offrir aux malades d’autre horizon que de végéter sans projet ni avenir.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, notre service public de la psychiatrie dispense ses soins sans protocole et sans évaluation de résultats
Malgré les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la France continue de concentrer ses moyens sur l’hôpital psychiatrique. Elle se classe ainsi en queue des pays occidentaux pour la prise en charge hors institutions (27e sur 30). Les hospitalisations sans consentement y augmentent constamment avec, de façon corollaire, la banalisation des pratiques de contention et d’isolement. 40 % des personnes ­atteintes de ­schizophrénie font une tentative de suicide. Comment ne pas s’interroger sur la prise en charge quand la France enregistre globalement une surmortalité par suicide considérable par rapport à l’Europe (+ 44 %) ?

Alors qu’en est-il en France des ­recommandations internationales concernant les thérapies psychosociales, basées sur des preuves cliniques et scientifiques et qui émanent des Etats-Unis, d’Allemagne, du Canada, de Chine, d’Australie, de Suisse ou d’ailleurs ?

Ces soins ciblent les symptômes les plus invalidants de la schizophrénie (repli sur soi, troubles de l’attention, de la planification…) sur lesquels les médicaments sont inopérants. Ils permettent aux personnes de mettre en place des stratégies pour mieux ­vivre et retrouver leur place dans la ­société.

En France, ils ne sont proposés que marginalement. Beaucoup de soignants les ignorent ou, comme le Saint-Office face à Galilée, « n’y croient pas ». C’est dire si le projet d’un décret réformant les soins en ­psychiatrie, dans le sillage du Conseil national de santé mentale (CNSM) installé en octobre 2016, a suscité tous nos espoirs.

Ce texte est potentiellement refondateur à de multiples égards. Il acte, pour les personnes souffrant de troubles psychiques sévères, la nécessité d’une prise en charge coordonnée de nature sociale et médico-sociale autant que sanitaire (aide aux études et à l’emploi, au logement, à la vie ­sociale…), et il précise que les soins ­doivent être conformes aux données actualisées de la science.

A condition d’être publié… Car malgré l’engagement des services du ­ministère, la très large concertation de tous les acteurs, les mois d’allers-retours, la sortie de ce décret a été ajournée. Et même s’il est publié, en l’absence d’une vraie politique de santé mentale – à savoir de définition de priorités, d’objectifs et de réallocation vigoureuse des moyens existants –, nous nous inquiétons des difficultés à venir pour concrétiser ses avancées sur le terrain.


Respect de certains fondamentaux


Au sein du CNSM, nous avons pu constater que les « usagers » pèsent peu face à des professionnels solidement organisés. Et que le consensus n’a pu se faire qu’au prix d’une rédaction souvent bien vague.

Aujourd’hui, l’inacceptable n’est plus acceptable. Un an, en santé mentale, ce sont 200 000 tentatives de suicide, 10 000 morts, 100 000 hospitalisations sous contrainte. Et, pour la seule schizophrénie, 8 000 jeunes pour qui l’absence de prévention et de soins appropriés constitue une perte majeure en termes d’espérance et de qualité de vie.

Si la psychiatrie garde sa place dans la prise en charge de la santé mentale, ce ne peut être que sous réserve du respect de certains fondamentaux, rappelés par le président du CNSM, le ­sociologue Alain Ehrenberg : les soins doivent y reposer sur des résultats ­publiés dans des revues scientifiques, et l’argent public alloué aux actions dont les effets sont démontrés.

Il serait urgent, au-delà de la publication du décret, de repenser résolument les soins dans l’intérêt des personnes. Cela passe par la poursuite de la démarche engagée au sein du CNSM en vue de définir un « panier de soins » pour la schizophrénie, conforme aux données actualisées de la science et qui soit homogène, opposable et ­accessible partout sur le territoire.

Le collectif Schizophrénies regroupe sept associations (Schizo Oui, Schizo Espoir, Promesses, Schizo Jeunes, Schiz’osent être, Solidarité Réhabilitation, L’Ilot). Il est indépendant, apolitique et sans a priori idéologiques. collectif.schizophrenies@gmail.com

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