lundi 22 mai 2017

Nicolas Baumard : « L’humain, espèce morale coopérative »

LE MONDE ECONOMIE  | Propos recueillis par 

Nicolas Baumard, chercheur au département d’études cognitives de l’Ecole normale supérieure, 38 ans.
Nicolas Baumard, chercheur au département d’études cognitives de l’Ecole normale supérieure, 38 ans. DR
Vous avez cumulé des formations en économie, biologie, sociologie, philosophie et sciences cognitives. Pourquoi cet éclectisme ?

Nicolas Baumard. - Les modèles économiques standards, que j’ai appris au début de mes études, donnent une vision simplifiée du comportement humain. L’hypothèse d’un individu rationnel et égoïste permet de modéliser de façon simple les comportements sur le marché – et encore, pas tous. Mais, dès que l’on sort des rapports de marché, il faut une vision plus complexe pour comprendre le réel.


Il ne suffit pas pour autant de dire que les individus sont généreux et coopératifs. Il faut une théorie pour expliquer pourquoi on est parfois égoïste, parfois généreux. Ma recherche part de la philosophie, plus précisément de la théorie de la justice de John Rawls. Les humains sont une espèce morale extrêmement coopérative, cela de façon innée, et non parce que nous serions façonnés par des institutions ou des cultures. Toutes nos ressources étant obtenues par des interactions, nous avons intérêt à être généreux avec les autres pour qu’ils coopèrent avec nous.

Les biologistes, par exemple Richard Dawkins, travaillent sur l’hypothèse que la sélection naturelle a plutôt bénéficié à ceux qui étaient les plus généreux ; le darwinisme, contrairement à ce qu’on dit, n’est pas la loi du plus fort ! On peut alors modéliser les conditions dans lesquelles être altruiste est un comportement gagnant.

Quelles conclusions pratiques en tirer ?

Par exemple, on peut penser que les gens sont prêts à payer leurs impôts non pas parce qu’on les menace d’une amende s’ils ne les paient pas, mais parce qu’ils estiment que le système fiscal est juste. C’est ce qu’on appelle la « coopération conditionnelle ». Si vous êtes trop généreux, on vous exploite ; si vous n’êtes pas généreux du tout, on ne coopère pas avec vous. C’est donc le sentiment d’équité et de confiance – si vous faites quelque chose pour les autres, ils feront quelque chose pour vous – qui peut tracer la voie de politiques publiques efficaces.

Quel éclairage peut apporter la psychologie ?

Les économistes expliquent pourquoi la croissance explose à certains endroits, à certaines époques et pas à d’autres par la combinaison des facteurs productifs (travail, capital, technologie) ou par la description historique d’évolutions institutionnelles (droit, politique) et culturelles (religion, idéologies). Ces explications négligent les changements de la psychologie collective : comment et pourquoi passe-t-on, massivement, de la défiance à la confiance, de la violence à la coopération ?

Les sciences cognitives, qui associent biologie, psychologie, anthropologie, donnent des éléments de réponse. C’est ce que j’ai appris avec l’anthropologue Dan Sperber, qui a supervisé ma thèse. Les économistes pensent que la biologie fige l’explication des comportements dans le marbre, alors qu’elle décrit au contraire leur variété en fonction de l’environnement. Avec les sciences cognitives, j’ai bouclé la boucle : je fais à nouveau de l’économie !

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