lundi 29 mai 2017

« J’ai décidé d’héberger maman quand elle avait 86 ans »

Marie-Catherine C., 61 ans, est « aidante ». Elle a hébergé sa mère chez elle de 2011 à 2015, avant de se résoudre à la confier à une maison de retraite où la vieille dame vient de fêter ses 92 ans. Témoignage.

LE MONDE  | Par 
« Mon frère m’a fait prendre conscience que j’étais devenue une aidante qui avait aussi le droit de se faire aider. »
« Mon frère m’a fait prendre conscience que j’étais devenue une aidante qui avait aussi le droit de se faire aider. » JOCHEN GERNER

Avec mes deux frères, nous nous sommes aperçus que ma mère, qui fut veuve très jeune, ne pouvait plus vivre seule dans son ­petit appartement, à Brest. Après le décès de mon père, elle avait vendu la grande maison familiale avec jardin, en périphérie, où elle ne se sentait plus en sécurité, pour être en centre-ville et pouvoir tout faire à pied.

Mais elle ne se nourrissait presque plus, avait fait plusieurs chutes et se déplaçait de moins en moins, ankylosée par l’arthrose que lui ont léguée ses années de travail comme manutentionnaire dans un ­entrepôt de fruits et légumes.

Elle se plaignait beaucoup auprès du médecin dont le cabinet était dans l’immeuble. Ses séjours chez moi, à Bordeaux, se multipliaient et s’allongeaient. Rentrer chez elle lui devenait pénible. Il est vrai que je suis célibataire et que j’habite une jolie petite maison de plain-pied avec une chambre libre et une terrasse sur laquelle maman adore se chauffer au soleil.


De belles soirées


J’ai arrangé sa chambre en y faisant ­venir son lit, son armoire, sa table de chevet, et elle s’y est tout de suite sentie bien, apaisée. Elle qui a le sommeil difficile arrivait à dormir jusqu’à 9 ou 10 heures du matin et, avec la visite de l’infirmière, la matinée passait à toute allure.

Etant seule à midi, elle mangeait peu, mais nous dînions ensemble. Nous avons eu de très bons moments, de belles soirées avec mes amis : elle restait avec nous jusqu’à 2 heures du matin et pouvait être la dernière à aller se coucher. Elle qui a été plutôt isolée tout au long de sa vie était heureuse de voir du monde, et moi de la voir heureuse.

Lors des réunions de famille, notamment à Noël, dans la grande maison de mon frère et de ma belle-sœur, très affectueuse et accueillante, il y a eu des instants de partage magnifiques. Maman était au centre de l’assemblée, et tout le monde la chouchoutait.

Je l’ai emmenée en week-end, par exemple, une fois dans une roulotte, une autre dans un chalet près du lac d’Hostens (Gironde)… Mes frères, l’un à Bordeaux, l’autre à Brest, étaient à mes côtés, prenaient de temps en temps le relais, à condition que je le leur demande : c’est rarement eux qui proposaient.


Epuisée moralement


J’arrivais à concilier ma présence auprès d’elle avec mes autres activités – yoga, marche, vélo, chorale, voile – et surtout mon travail, technicienne de laboratoire, que j’aime beaucoup.

Mais l’ambiance, au labo, est devenue assez lourde, non seulement dans la perspective de la fermeture prochaine du site, mais aussi parce que les tâches sont de plus en plus automatisées et qu’il faut constamment s’adapter à des techniques nouvelles. 

Je devais parfois renoncer à des escapades personnelles, faute de temps mais aussi d’argent, mais cela ne me coûtait pas.

Notre relation est devenue assez ­fusionnelle. Mais ma mère, qui a encore toute sa tête, a malheureusement perdu la mémoire immédiate, et il faut cent fois lui redire ce qu’on va faire, quand, avec qui… C’est épuisant ! Le soir, en rentrant du travail, je la trouvais dans le salon, devant la télé à plein ­volume, et je me réfugiais souvent dans ma chambre pour me reposer.

Elle se montrait quelquefois exigeante avec moi : je me souviens d’un matin où, n’ayant pas ses crêpes au petit déjeuner – en vraie Bretonne –, elle a été désagréable et je n’ai pas su comment réagir. J’étais moi-même de plus en plus agacée, ­impatiente, jusqu’aux larmes certains jours, et je me suis retrouvée dans un cycle où je ne savais plus me reposer. J’étais épuisée moralement, physiquement, affectivement.


J’étais devenue une aidante


C’est mon frère brestois qui m’a ouvert les yeux en me faisant prendre conscience que j’étais devenue une aidante qui avait aussi le droit de se faire aider. J’ai d’abord trouvé, pour maman, un accueil de jour une fois par semaine : on venait la chercher à domicile et, passé l’appréhension des débuts, ça lui plaisait beaucoup.

J’ai suivi une formation dispensée par l’Association française des aidants, cinq ou six après-midi de travail qui furent, pour moi, une bouffée d’oxygène : partager son expérience avec d’autres, réaliser qu’il est normal d’être fatiguée. Ça m’a fait un bien fou. J’ai pris conscience que j’étais près de couler… Je me suis rendu compte que le temps passe et que je dois profiter de la présence de ma mère, mais aussi, pour moi qui vais prendre ma retraite en janvier 2018, jouir de ma liberté et vivre pleinement les dix ­prochaines années, avec la sourde angoisse de l’avenir : qui fera pour moi ce que je fais pour maman ?

Il devenait difficile de l’avoir à domicile, et nous avons dû nous résoudre à trouver une maison de retraite. Là, c’était la catastrophe. Le personnel était individuellement sympathique et chaleureux, mais il y avait un manque cruel de coordination médicale et une direction incapable de gérer une équipe. Ils ne s’occupaient pas d’elle, à la limite de la maltraitance, l’ambiance était désastreuse, ma mère ne mangeait plus. Avec d’autres familles, nous avons écrit des lettres recommandées, en vain.

Maman a été à nouveau hospitalisée et les médecins m’ont confirmé qu’elle était totalement dénutrie. Cela aurait pu lui être ­fatal mais, heureusement, elle a repris des forces. A sa sortie, j’ai trouvé une autre maison de retraite beaucoup mieux, proche de chez moi.


Recul affectif


Je rends visite à maman tous les deux jours et je m’empêche même d’y aller quotidiennement car je dois prendre un peu de recul affectif. Ma mère est un peu perdue, elle me demande sans cesse pour combien de temps elle est ici… Je lui explique qu’il a fallu la changer d’établissement, qu’elle est maintenant bien soignée et entourée, mais il m’est pénible de répéter cela sans arrêt.

Mes frères et belles-sœurs sont présents, bien sûr, et celui de Bordeaux s’occupe de la paperasse. Mais ils ne proposent toujours pas spontanément de me relayer, et c’est à moi de les mobiliser pour que je puisse partir en vacances. J’ai besoin de prendre du recul. J’ai d’ailleurs programmé en juin un stage de voile pour réaliser un rêve : être coéquipière sur un bateau et traverser l’Atlantique. Me retrouver face à l’immensité de la mer, face à moi, penser, lire… Le temps passe, il y a urgence.

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