mercredi 5 avril 2017

Les patients précaires victimes des stéréotypes des praticiens

04.04.2017

La prise en charge différenciée des patients en situation de précarité flirte parfois avec la discrimination. C’est une des conclusions de l’étude publiée par le Défenseur des droits et du Fonds CMU. L’enquête a été réalisée à sa demande par le laboratoire LEPS de l’université Paris XIII à travers des entretiens conduits entre 2015 et 2016 auprès de 50 médecins ( 20 spécialistes et 18 généralistes) et chirurgiens-dentistes en ville. Elle s’intéresse à la prise en charge des patients précaires, bénéficiaires de la CMU-C, de l’ACS ou de l’AME. L’objectif de l’étude était "d’interroger les mécanismes de différenciation dans les soins en s’appuyant sur une analyse des discours des professionnels de santé".

"CMU" est devenu une catégorie de patient
Premier constat : La catégorie des patients "CMUs" "est largement utilisée dans les discours des praticiens, devenant une autre manière de nommer les personnes pauvres, souligne l’étude. "On dit les CMU comme on dit les obèses, les borgnes et machin, ce qui n'est pas très joli non plus" résume ainsi une pédiatre citée dans le rapport. L’étude souligne aussi  " cette catégorie est considérée comme homogène, sans aucune distinction parmi les membres qui la composent. Or, les CMUs (…) représentent des profils variés selon la situation de famille, l’activité salariée ou non, la situation du logement, le rapport aux soins et aux professionnelles de santé ". Un dentiste en centre de santé explique:  " Pour la profession, les CMU sont devenues la bête noire (…) ils peuvent pas venir, ils nous laissent leurs prothèses et ils nous coûtent de l’argent ".
Car en effet au-delà de l’homogénéisation de la catégorie, le rapport pointe aussi la superposition de préjugés associés à la pauvreté : "soupçons de fraude, mais aussi anticipation de difficultés de suivi" (surconsommation de soins, absentéisme, retards fréquents). "Cet +étiquetage social+ favorise des pratiques professionnelles différentes, dont certaines renvoient à une discrimination", notamment par un refus de soins, isolé ou systématique, notent les auteurs de l'étude. Mais les discriminations peuvent s'exprimer "de manière plus insidieuse", avec par exemple "la réorientation systématique d'un patient vers un autre praticien ou à l'hôpital, des délais d'attente anormalement longs", sans qu'elles soient considérées comme telles par les praticiens.
Les effets pervers de la différenciation
En outre, si "une grande majorité" exerce de "manière égalitaire", d'autres s'ajustent. Une différenciation qui en soi n’est pas le problème, l’étude explique ainsi qu’elle "ne produit pas de la discrimination quand elle repose sur des critères objectifs et qu’il s’agit pour le praticien d’ajuster les soins à la situation individuelle de la personne". Mais elle peut néanmoins créer des effets pervers : " Partir du principe que les conditions de vie des personnes précaires rendent impossible le suivi d'un traitement (…) peut amener à proposer une offre médicale de moindre qualité et à ne pas laisser le choix aux personnes concernées ".
Le Défenseur des droits, qui a ouvert plusieurs enquêtes en décembre concernant des médecins refusant des bénéficiaires de la CMU-C ou de l'AME, préconise de réaliser un testing national, de préciser les types de refus de soins illégaux dans le code de la santé publique ou encore de demander à l'Assurance maladie "de recenser les praticiens" ne respectant pas les tarifs sécu pour les bénéficiaires de la CMU-C ou de l'ACS.

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