10/03/2017
« L’argent ne fait pas le bonheur, mais permet de choisir le genre de malheur que l’on préfère » dit-on. En santé mentale aussi, un contexte socioéconomique précaire représente un facteur de risque avéré dès l’enfance. Mais qu’en est-il de l’impact à long terme (20 ans après) des conditions à la naissance ? Une hypothèse envisage deux sous-types de dépression, caractérisés par l’âge d’apparition des premiers symptômes : avant ou après 17 ans. Cette conception distingue une dépression de type jeune, versus une dépression de type adulte. Ainsi, un faible statut socioéconomique parental n’aurait qu’une influence limitée dans le temps, correspondant à la dépression de type jeune, mais ne concernerait pas les dépressions d’apparition tardive (à l’adolescence), justiciables du type adulte. Mais cette hypothèse d’une « date de péremption » dans la sensibilité aux risques psychosociaux précoces est-elle valable ?
Pour approfondir la question, une équipe britannique a recherché s’il existe un lien tardif (jusqu’à 20 ans) entre symptômes dépressifs et faibles conditions socioéconomiques dès la petite enfance. Lors d’une étude de cohorte sur 9 193 jeunes (4 768 filles et 4 425 garçons), l’incidence des symptômes dépressifs selon l’âge et le statut socioéconomique parental a été contrôlée à différentes périodes : 10–12 ans, 12–16 ans, 16–20 ans (en plus d’un questionnaire à 18 ans). Parmi les critères socioéconomiques à la naissance figurent : emploi parental (qualifié ou non), éducation des parents (diplômés ou non de l’enseignement secondaire ou supérieur), qualité de vie (mesurée par trois indicateurs : difficultés matérielles, statut foncier [propriétaire ou locataire], accès à une voiture), et un indicateur subjectif (perception de problèmes financiers par les mères à la naissance). Exemple de question posée aux mères : « Sur une échelle de 1 (très difficile) à 4 (pas difficile du tout), comment évaluez-vous vos difficultés à pourvoir aux besoins suivants : nourriture, vêtements, chauffage, loyer, affaires pour les enfants ? »
Le niveau socio-économique à la naissance est déterminant pour la santé mentale jusqu’à 20 ans (ou plus)
Une conclusion se dégage : un faible statut socioéconomique parental durant la petite enfance est bien « associé à une incidence accrue » des symptômes dépressifs de 10 à 20 ans, telle une « réminiscence » des facteurs de risque durant la petite enfance. L’hypothèse d’une dépression d’apparition plus tardive (type adulte) et indépendante de l’enfance est ainsi affaiblie. De plus, les indicateurs de qualité de vie à la naissance présentent une relation plus forte encore avec les symptômes dépressifs que le statut socioprofessionnel ou le niveau d’éducation de la mère.
Une mère « suffisamment bonne » (comme dit Donald Winnicott) [1] serait-elle donc avant tout une mère suffisamment riche ? Cette étude peut le laisser croire, vu l’association « évidente » entre « faible niveau socio-économique et symptomatologie dépressive, précoce et ultérieure » : le niveau socio-économique à la naissance est déterminant pour la santé mentale jusqu’à 20 ans (ou plus), indépendamment des conditions de vie ultérieures. Période critique dans le développement cognitif, l’enfance serait particulièrement vulnérable à la pauvreté, elle-même source de carences alimentaires, privations affectives, sociales, difficultés d’accès aux soins, stimulations réduites, etc.
Si cette étude ne confirme pas l’existence de « sous-types » de dépressions juvéniles en fonction de l’âge d’apparition, elle illustre en revanche le rôle négatif à long terme des inégalités socio-économiques précoces sur la santé mentale, et incite à relancer « l’ascenseur social » en panne, pour réduire ces inégalités. Un grand enjeu de santé publique, comparable aux mesures prophylactiques des anciens hygiénistes pour enrayer des maladies infectieuses comme le choléra ou la tuberculose. La lutte contre les dépressions implique aussi des politiques contre la pauvreté.
Dr Alain Cohen
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