samedi 11 mars 2017

Les addictions nous concernent tous. Un entretien avec William Lowenstein




Paris, le samedi 11 mars 2017 – SOS Addictions organise le 23 mars le premier e-congrès national sur les addictions. En partenariat avec la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), le Réseau de prévention des addictions (RESPADD), la Fédération addiction et MG Addiction, SOS Addictions investit le champ des nouvelles formes de communication pour offrir le plus large accès possible à son congrès. Il s’agit en effet de toucher le plus grand nombre de professionnels de santé, ceux qui sont quotidiennement impliqués dans le dépistage et la prise en charge des addictions, mais qui par manque de temps, demeurent souvent à l’écart des conférences considérées comme spécialisées. Avec le e-congrès, plusieurs des obstacles à la participation d’une manifestation de ce type sont effacés, tandis que le contenu conserve la même exigence de qualité et le même désir d’interactivité que des assises classiques. Par ailleurs, les communications pourront continuer à être visibles en différé jusqu’au 9 avril 2017 offrant une possibilité de formation prolongée.

Avec le président de SOS Addictions, le docteur William Lowenstein, nous revenons sur les ambitions de cet e-congrès et nous évoquons les avancées essentielles dans la lutte contre les addictions de ces dernières années, qui confirment la nécessité pour tous les professionnels de santé de s’impliquer durablement.
Pionnier de la prise en charge du VIH chez les toxicomanes, cette spécificité a conduit ce spécialiste de médecine interne à faire de la lutte contre les addictions sa priorité et à se concentrer davantage sur les aspects médicaux de ces dernières, philosophie qui continue à l’animer. Engagé au début des années 90 en faveur de la distribution des médicaments de substitution, William Lowenstein reste aujourd’hui l’apôtre d’une politique de lutte contre les addictions qui place le souci de la santé publique au centre, avant les aspects juridiques et moraux. Aujourd’hui encore, il accompagne et suit les différentes évolutions du combat contre toutes les formes d’addiction.

JIM.fr : SOS Addictions organise fin mars le premier e-congrès national sur les addictions. Quel objectif quant à la sensibilisation des praticiens et au-delà de l’ensemble des professionnels de santé poursuivez-vous avec le recours à une telle formule ?

Dr William Lowenstein : Puisque les addictions nous concernent tous et sont un problème de santé publique majeur, nous souhaitons, avec les moyens du XXIème siècle, favoriser le dépistage, le repérage, le diagnostic et le traitement des addictions, mais aussi de leurs événements indésirables. Connaissant le rythme de travail de tous mais surtout la nécessité de toucher des personnes qui ne viennent pas nécessairement dans des congrès considérés comme « spécialisés », l’e-congrès nous a paru un excellent outil pour le présent et pour l’avenir afin de sensibiliser le plus grand nombre face à de nouvelles avancées possibles pour la santé publique.

Offrir une méthode pour le dépistage et le repérage

Nous sommes très contents de lancer ce premier e-congrès national sur les addictions en partenariat avec la Mildeca. Nous voulons imposer l’idée que les addictions nous concernent tous et qu’il faut savoir nous impliquer. Cela ne signifie pas y consacrer tout notre temps, cela ne signifie pas transformer les médecins généralistes et les spécialistes en addictologues, mais cela signifie développer une connaissance qui dépasse celle de la morale ou de la psychologie des profondeurs pour maintenant oser parler de médecine des addictions, de santé des addictions. Nous voulons que cet e-congrès soit porteur des actualités sur les addictions mais aussi livre une méthode pour le dépistage et le repérage.
JIM.fr : Quels sont vos souhaits pour l’avenir ?
Dr William Lowenstein : Nous voudrions vraiment inscrire cet e-congrès dans le calendrier français. Nous avons en addictologie des congrès historiques ou classiques comme les journées nationales de la Fédération addiction, le congrès THS qui a vu le jour dans les années 90, le congrès de l’Albatros ou encore les journées RESPADD. Avec cet e-congrès, nous voulons proposer une formule nouvelle, qui permette d’élargir l’accès à l’information et de toucher, encore une fois, ceux qui peuvent avoir du mal à se déplacer. Il ne s’agit pas seulement des médecins surchargés (c’est presque un pléonasme) mais il s’agit également de nos collègues des territoires d’outre mer qui sont toujours confrontés à bien des problématiques addictives et qui n’ont pas forcément accès à toutes les formations qu’ils souhaiteraient. Nous avons ainsi beaucoup de contacts et d’attentes dans ce sens de la part de nos collègues de la Réunion ou des Antilles mais également avec nos collègues d’Afrique du Nord (algériens, marocains, tunisiens) ou Libanais. Ainsi, faudra-t-il ouvrir l’e-congrès francophonie. Et après nous espérons en faire un congrès international. Nous aimerions également proposer une session avec les usagers, une session pour les sportifs etc, etc. La prochaine édition, par ailleurs, à la différence de cette première, fera appel à communications.
JIM.fr : Au-delà l’e-congrès, aimeriez-vous développer les formations à distance ?
Dr William Lowenstein : Nous sommes effectivement en train de travailler sur les fameux MOOC avec le Docteur Laurent Karila.
JIM.fr : Partagez-vous le constat établi la semaine dernière dans Le Monde par plusieurs intellectuels et responsables politiques, rassemblés par l’association citoyenne Echo, de l’échec des politiques de lutte contre les drogues fondées quasi exclusivement sur la répression ? Et vous associez-vous à leur appel à un débat national sur les lois régissant les drogues en France ?
Dr William Lowenstein : J’ai moi-même signé cette tribune. Je suis en effet absolument d’accord pour faire le constat de l’échec de la prohibition. On ne peut pas continuer comme ça. On ne peut pas continuer avec une stratégie de santé publique perdante à ce point et une stratégie en termes de sécurité publique également perdante. La guerre au cannabis finit par tuer plus de gens que la drogue elle-même, qui n’en tue pas par overdose mais en tue par accident de la voie publique ou par comorbidités psychiatriques. Néanmoins, je ne me fais aucune illusion, il ne suffira pas de légaliser pour que cela constitue un projet de santé publique. Si on légalise, il faut vraiment un ou deux ans de travaux très sérieux, prioritaires, au sens de priorité nationale, pour que l’on puisse avoir une prévention à la hauteur, afin de créer une troisième voie qui ne serait pas la légalisation seule, mais celle de la légalisation et d’un programme de santé des addictions spécifiques avec les moyens que ça suppose.

Légaliser ne fait pas tout

Oui, la prohibition a échoué, c’était une mauvaise politique, tout le monde lui aurait pardonné si elle avait réussi, ce n’est pas le cas, ni en termes de santé publique, ni en termes de sécurité publique. Mais ce n’est pas parce que quelque chose est faux que l’inverse va être vrai. Aussi, s’il y a une légalisation, l’argent dégagé doit être en grande partie alloué aux programmes de prévention, de réduction des risques et d’accès aux soins. La légalisation ne suffira pas à régler les problèmes. Cela diminuera les impuretés, ça diminuera les contacts mafieux, ça diminuera l’insécurité publique, en ce qui concerne le cannabis. Mais nous, ce qui nous intéresse en tant que médecins c’est comment diminuer la consommation et comment réduire le nombre d'événements indésirables, dont évidemment la dépendance.
Nous sommes bien placés en France pour savoir que lorsqu’on interdit, ça donne l’échec que l’on connaît comme par exemple avec le cannabis, et lorsqu’on autorise, ça donne 130 000 morts par an, liés à l’alcool (50 000 morts par an) et le tabac (79 000 morts par an). Face à ça, nous n’avons pas développé des outils aussi marquants que ceux de la Sécurité routière, tel un petit bandeau qui dirait par exemple : « Attention, au mois de février 0,3 % de morts en plus ». Manquent également de fortes actions de coordination que l’on a pourtant su mettre en place face à l’épidémie de VIH Sida. Cela prouve que la France dispose du savoir faire, face à des problèmes aussi compliqués que l’insécurité routière ou l’épidémie de VIH/Sida. Nous travaillons avec des gens remarquables que ce soit à la MILDECA ou à la DGS qui pourraient mener des politiques de santé des addictions, si les budgets étaient beaucoup plus importants, notamment pour la prévention.
JIM.fr : Quel est votre bilan des actions de lutte contre les toxicomanies menées ces dernières années ?
Dr William Lowenstein : Nous avons assisté à des évolutions très importantes qui seront l’objet de points saillants lors du congrès. Il faut d’abord insister sur une avancée extraordinaire, qui confirme bien qu’il existe une médecine des addictions : l’arrivée des traitements antiviraux pour l’hépatite C. C’est une révolution thérapeutique aussi importante que celle que l’on avait connu en 1994 avec les trithérapies contre le sida. Aussi, faut-il insister sur l’importance de sensibiliser tout le monde, les médecins généralistes et psychiatres, au dépistage, à la réalisation d’un bilan qui n’est plus invasif et à l’accès au traitement. Nous serions entièrement satisfaits si ce congrès ne pouvait servir qu’à ça : insister sur la nécessité du dépistage, parce que désormais ça s’investigue facilement et ça se traite facilement.

Traitements de modération pour l’alcool : des avancées extraordinaires

La seconde avancée concerne les traitements dits addictolytiques ou de modération pour l’alcool. Leur arrivée a été, vous le savez, précédée de débats qui font le charme franco-français. Si ces traitements ne sont pas la panacée, ils ouvrent des possibilités thérapeutiques très différentes que cette machine à perdre qu’est l’entrée en abstinence qui s’est imposée pendant des décennies. Là encore, comme dans le cas des antiviraux pour l’hépatite C, cela offre un nouveau rôle à l’ensemble des médecins. Nous disposons en effet, outre les nouveaux traitements, de diagnostics rapides pour l’alcool. Il ne s’agit nullement de vouloir transformer en psycho addictologue chaque médecin généraliste. Le but de ce e-congrès est d’insister sur le fait que oui certaines situations vous prendront peut-être plus de temps que d’autres, comme une personne avec une poly pathologie, un diabète compliqué ou une connectivite, mais face à la plupart des addictions il est possible de faire un diagnostic rapide et surtout de proposer des traitements notamment dans l’alcolo dépendance. Bien entendu, les thérapies ne sont pas efficaces à 100 % mais même si elles ne le sont qu’à 60 % c’est déjà extraordinaire.

L’e-cigarette doit s’imposer officiellement

Une troisième avancée concerne la e-cigarette. Face au principal serial et banal killer qu’est le tabac, pour la première fois nous avons une solution choisie par les usagers eux-mêmes. Un million de personnes auraient arrêté avec la e-cigarette, deux millions auraient réduit leur consommation. Les médecins doivent s’en emparer et pouvoir être informés sur l’efficacité de ce vapotage et, au contraire de ce qu’à tendance à faire la presse, y compris la presse médicale, sur l’absence de dangerosité du vapotage. La e-cigarette, le vapotage, a fait la preuve de son efficacité pour le sevrage, fera sûrement la preuve de son efficacité pour la réduction des consommations et ne montrera pas d’inconvénients, y compris d’incitation à plus fumer pour les jeunes. Il faut que la e-cigarette puisse maintenant officiellement et tranquillement faire partie de l’arsenal thérapeutique pour le sevrage de cette drogue qui tue le plus en France.

Trois cent vies pourraient être sauvées chaque année grâce au "défibrillateur de l’overdose"

La dernière avancée concerne la mise à disposition, dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation d’un traitement des surdoses opiacées. Pour l’instant, deux vies ont été sauvées, depuis qu’on a réussi à promouvoir Nalscue, (naloxone par voie nasale). Il est destiné aux personnes soit en consommation d’héroïne, soit en traitement de substitution, soit éventuellement en difficulté avec des médicaments anti douleurs (opiacés). Il s’agit d’une avancée thérapeutique extraordinaire qu’il va falloir diffuser de plus en plus.
JIM.fr : Vous souhaitez un élargissement de l’accès à ce produit ?
Dr William Lowenstein : Le groupe que je préside au sein de la DGS, le groupe traitement et réduction des risques en addictologie, avait proposé des prescriptions très larges dans le milieu spécialisé comme étant un premier pas. Une conseillère au ministère de la Santé a pensé que ce n’était pas raisonnable. La prescription a donc été réservée aux centres hyper spécialisés, dont étaient même exclues des structures telles que les CAARUD (Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues). Résultat : en octobre novembre, 17 kits avaient été dispensés dans toute la France. Le ministère a réagi honnêtement en reconnaissant son erreur. Avec l’aide de Benoît Vallet, le directeur général de la Santé, des recommandations ont été prises pour un élargissement dans un premier temps à toutes les structures. Dans un deuxième temps, l’objectif est que n’importe quel médecin puisse le prescrire, et dans un troisième  temps, peut-être un peu sur le modèle des substituts nicotiniques, le traitement devrait être accessible dans n’importe quelle pharmacie de ville. Je l’appelle le "défibrillateur de l’overdose". Aujourd’hui, il existe des défibrillateurs partout, bien que cela nous semblait horriblement compliqué il y a encore quinze ans de les installer dans les gares, les endroits publics et privés, en termes notamment de responsabilité. Cela fait dix ans que nous sommes sur ce dossier. Il a connu une accélération, quand il y a deux ans, la naloxone par voie nasale a été l’objet d’une recommandation de l’OMS. Mais en France, il a fallu sortir la naloxone de sa classification de substance vénéneuse, l’exonérer de la liste pour pouvoir commencer à la diffuser. Il s’agissait d’inepties médico-administratives d’un autre temps qui bloquaient un certain nombre de démarches tout à fait logiques. C’est une avancée. Pour le moment, on est à deux personnes sauvées, plus de 150 médecins qui ont été formés. Il faut qu’on continue. On peut sauver trois cent personnes par an.
JIM.fr : Outre ces avancées thérapeutiques, quelle nouvelle menace vous alerte ?
Dr William Lowenstein : La situation des Américains face aux médicaments antalgiques opioïdes (du type Oxycontin ou Vicodin) nécessite l’attention. Ces médicaments  sont à l’origine de plus d’overdoses aux Etats-Unis que l’héroïne. Il s’agissait de traitements présentés comme de niveaux II et qui ne devaient pas entraîner de dépendance. Ils ont été délivrés comme des bonbons, dans des indications semblables à celles des anti-inflammatoires ou du paracétamol. En réalité, ces médicaments ont peut être l’efficacité des morphiniques, mais ils ont aussi plus d’effets secondaires que ces derniers. On sait maintenant qu’au niveau cellulaire, un des gènes de l’addiction opioïde est beaucoup plus stimulé par ces médicaments que par la morphine elle-même. La France est relativement épargnée par ce phénomène, tous les médicaments en cause n’ayant pas été importés. On est donc plus dans la prévention.
JIM.fr : Enfin, quelles sont aujourd’hui, dans le cadre de l’élection présidentielle à venir, les attentes de votre association ?
Dr William Lowenstein :  - Je suis réservé sur l’utilité d’égrener des listes de recommandations, comme le font, très bien, de nombreuses associations. Quand les gouvernements se sont intéressés à l’addiction, tels les plans 2006/2007 établis sous la présidence de Jacques Chirac, il ne s’agissait pas d’une promesse électorale. Je pense que le plus important sont les discussions que nous aurons avec ceux qui seront élus. Il s’agit notamment de savoir comment pérenniser non seulement le budget de la Mildeca mais aussi de faire en sorte que la Mildeca reste vraiment interministérielle,avec un poids important accordé à la santé dans cette interministérialité. Je souligne d’ailleurs la satisfaction de voir un médecin de santé publique nommé à la tête de la Mildeca, le docteur Nicolas Prisse, qui j’espère pourra y rester après les élections. Nous avons par ailleurs un excellent directeur général de la santé, Benoît Vallet et nous avons eu de très bons rapports, très humains, avec Danièle Jourdain-Menninger à la Mildeca également. L’articulation s’est mieux faite peut-être que lors de mandatures précédentes.

Se saisir des vraies problématiques

Notre vœu est que l’on fasse enfin des addictions une priorité nationale, parce qu’elles sont en effet à l’origine d’un tiers des cancers, de la moitié des problèmes cardiovasculaires et de près d’un tiers des hospitalisations. Cela coûte des milliards en termes de santé publique. Cela nécessité de se doter de moyens suffisants et probablement aussi de construire une association nationale qui regrouperait toutes les associations dans lesquelles il y a beaucoup de bénévoles mais qui sont un peu éparpillées sur tout le territoire. Nous pourrions nous inspirer du modèle de AIDES qui a bien fonctionné quand cela était nécessaire. S’il y avait quelque chose à demander aux politiques, nous souhaiterions qu’ils s’intéressent maintenant à d’autres items que les tonnes de cannabis ou de cocaïne saisies, d’autant que ces saisies sont parfois mises en scène par l’OCRTIS lui-même, comme l’ont révélé des affaires récentes. Nous aimerions que les hommes politiques se concentrent plutôt sur le nombre d’hépatite C en moins, de VIH en moins, de consommateurs en moins, d’incarcérations en moins, de délinquance en moins. Cela est bien plus essentiel que de se faire photographier devant des saisies qui représentent généralement entre 1 à 10 % de ce qui circule et est consommé dans notre pays.
Interview réalisée par Aurélie Haroche
Pour s’inscrire au e-congrès : http://www.healthwebevents.com/#eadd2017/indoor

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