mercredi 9 novembre 2016

Sécu : qu’il semble faible le souffle épique de la Libération !

Souvenons-nous de l’espérance suscitée par la création de la Sécurité sociale à la Libération, aujourd’hui réduite à un triste bilan comptable dans le PLFSS présenté au Parlement.
LE MONDE  | Par Benoît Hopquin

BERTRAND GUAY / AFP

L’Histoire est bonne pour la santé. Sa piqûre de rappel soulage, revigore, retrempe, même si elle ne guérit pas toujours, ne prévient pas forcément les rechutes. Bien dosée, elle se fait recommandation et même thérapie collective. Ne serait-ce que pour se remémorer que le passé n’est jamais certain et le futur jamais sûr. Que rien n’est écrit à l’avance. Que l’espoir fait vivre, pour dire vite.
Prenons ce 27 mai 1943, tout nimbé de désespoir. Le 48 rue du Four, dans le 6e arrondissement de Paris. Tandis qu’à l’extérieur des guetteurs redoutaient de voir débouler des voitures de la Gestapo ou de la Milice, les représentants des mouvements de Résistance, des syndicats et des partis politiques, gauche et droite confondues, se réunissaient.
Naissait ce jour-là le Conseil national de la Résistance (CNR), sous l’autorité de Jean Moulin. Moins d’un an plus tard, le 15 mars 1944, tandis que la Libération n’était encore qu’une espérance, alors que Jean Moulin et un autre membre de cette première réunion, Roger Coquoin, étaient morts en héros, le CNR adoptait un programme de réformes pour l’après. Il était baptisé avec un bel, un naïf, un forcené optimisme : « Les Jours heureux ».

« Trou », « charges », « gains d’efficience »
Le document appelait de ses vœux « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail ». Ce qui fut fait par des ordonnances d’octobre 1945. Leur mise en œuvre s’étendit de 1946 à 1948. Un ministre communiste, Ambroise Croizat, et un haut fonctionnaire gaulliste, Pierre Laroque, en furent les grands artisans. La Sécu était née.
Pourquoi se rappelait-on cela, la semaine passée ? Pourquoi cette envie de relire les magnifiques pages d’Alias Caracalla, où Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin, faisait revivre ce 27 mai, 48, rue du Four ? Tout simplement parce qu’est discuté ces jours au Parlement le PLFSS. Le PLFSS ? Oui, le PLFSS, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Ah, le PLFSS, bien sûr, que ne le disiez-vous plus clairement !
Lors de la première discussion du texte par les députés, il ne fut question que de « trou », de « charges », de « hausse des cotisations », de « gains d’efficience ». L’idée fut notamment caressée de matraquer l’économie dite « collaborative » et les combines de petits malins pour arrondir leurs fins de mois.
Il fut ainsi voté une dîme sur les locations d’appartements par Airbnb, mesure qui a fait pleurer dans certaines chaumières. Mais aussi décidé de taxer le louage des voitures, des tondeuses et même des poussettes (amendement n° 591), puisque tout semble se pouvoir louer aujourd’hui, sauf le Bon Dieu.
Poujadisme, quand tu nous tiens
A lire le compte rendu fatigué de ces débats, on se disait qu’il y avait loin de la rue du Four au Palais-Bourbon, beaucoup plus loin que les trois stations de métro répertoriées. Entre « Les Jours heureux » et le PLFSS s’étendait un fossé plus large et profond que le trou de l’Assurance-maladie ou des caisses de retraite. Qu’il semble faible le souffle épique de la Libération, ramené à une rude comptabilité. Même si, comme le soldat Ryan, le but est bien de sauver la Sécu.
La Sécu et, derrière elle, la solidarité, ce pacte nécessaire à toute société humaine. Une belle idée d’hommes pourchassés, de rêveurs debout, devenue pour les Français à la fois aussi vitale et oubliée que la petite carte sans cesse égarée. Une lubie d’êtres en sursis, aujourd’hui caricaturée en une monstrueuse administration et un matricule impossible à retenir. Un ogre dévorant 500 milliards d’euros par an, un vampire saignant à mort l’entrepreneur et l’assuré social en prétendant le soigner.
Tant il en est pour penser ainsi. On se souvient d’avoir interrogé il y a quelques années une femme qui militait pour la fin de cette avanie collectiviste. La brave dame se voyait assez bien en résistante des temps modernes, luttant contre l’oppression d’une institution totalitaire et bolchevique. Elle refusait de verser ses cotisations à l’organisme public et avait souscrit une assurance privée et individuelle en Angleterre. Chiffres à l’appui, elle détaillait les formidables économies qu’elle réalisait ainsi. Oubliant juste de préciser que ses enfants étaient, eux, inscrits à la Sécurité sociale, sous le régime de son ex-conjoint… Poujadisme, quand tu nous tiens.
Bain de jouvence
On se rappelle également ce cordonnier rencontré dans le Morvan. Il se lamentait avec humour d’être tondu par le RSI, le régime social des indépendants. « Moi, je leur ai dit : “Eh, faut m’en laisser un peu !” » Et, de fait, le RSI, la CSG et ces autres sigles abscons cachent des bureaux d’octroi qui n’y vont pas toujours de main morte.
Et que dire de ce sentiment partagé par tant de malades de n’être réduits qu’à un lit qu’on occupe indûment, à une table d’opération qu’on usurpe, à un médicament qu’on vole, bref à un coût pour la société. La Sécurité sociale, c’est aussi ça. Il serait imbécile de le nier, tout comme il serait imbécile de nier les abus. La Sécu est malade, souffreteuse à l’orée de ses 70 ans, qui dira le contraire ?
Pour se refaire une santé, rien ne vaut donc l’Histoire. Un documentaire invite à nous y replonger, comme dans un bain de jouvence. Il sort en salles, ce mercredi 9 novembre, et s’appelle La Sociale, de Gilles Perret.
Son auteur avait organisé une avant-première au printemps, quand les rues de Paris résonnaient des manifestations contre la loi travail. Fait d’aller-retour entre hier et aujourd’hui, cette ode à la Sécu réincarne les grandes figures qui la fondèrent et moque à l’occasion des successeurs bien ignorants du précieux héritage qu’ils gèrent.
De ce film, Jacques Mandelbaum fera dans les jours à venir une critique plus inspirée que nous ne saurions le faire. Disons juste que La Sociale est d’un militantisme totalement assumé, d’un manichéisme parfois pesant. Mais Gilles Perret a l’immense don de combattre la plus grave des maladies : l’oubli.

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