vendredi 18 novembre 2016

Claire Marin : «Il y a des discours de plus en plus culpabilisants à l'encontre des malades»

Par Belinda Mathieu — 

FORUM «QUAND LE CORPS S'ÉCLIPSE»

La philosophe analyse le jugement parfois sévère de la société sur les personnes souffrantes. Interview.

Apres s'être intéressée au déni de la maladie (L’homme sans fièvre) et à l'identité de la personne malade (La maladie catastrophe intime), Claire Marin répond à nos questions dans le cadre du Forum «Quand le corps s’éclipse».
La maladie est-elle perçue comme un échec ?
Ce qui est surtout jugé c’est la manière dont on vit celle-ci. Le «bon malade», c’est celui qui ne se laisse pas abattre. Cette figure guerrière de «survivant», de «superhéros» est valorisée et très visible aux Etats-Unis. Mais il y a surtout des discours très culpabilisants à l’encontre des malades, comme s'ils étaient responsables de leur état de santé. A celà s'ajoutent les injonctions de bonne santé - manger sainement, arrêter de fumer - qui vont dans le sens d'une responsabilisation individuelle. C’est en partie injuste, car nombre de pathologies ne sont pas liées à un comportement, mais à des gènes et à des éléments environnementaux.
Certaines maladies sont-elles moins bien considérées que d’autres ?
Les maux qu’on impute à un mauvais comportement font l’objet d’un jugement plus négatif, porté par ces discours culpabilisants, qui peuvent venir du médecin ou des proches. Il y a aussi les maux tabous, ils touchent à l’intimité, à la sexualité. On parlera par exemple plus facilement d’un cancer du poumon que d’un cancer de l’utérus. Il y a aussi les pathologies psychiatriques, encore mal connues et souvent associées à un manque de volonté ou de détermination. Ce sont des discours d’une grande violence à l’encontre de la personne touchée.
Est-ce que l’exclusion des malades renvoie à de la peur ?
Oui, ils rendent visible une réalité que la plupart du temps on se cache. Cela va à l’encontre de notre capacité à nous projeter, car envisager la maladie c’est arrêter la temporalité normale du sujet. Merleau-Ponty disait que lorsqu’on est en bonne santé on ne peut pas s’imaginer souffrant, ce sont deux types de représentation de soi incompatibles. Etre en bonne santé, c’est se projeter alors que la maladie renvoie à la suspension du temps. Le malade représente tout ce qui n’ est pas visible dans nos sociétés : on ne voit plus la dégradation du corps, on cache le vieillissement et in fine la mort. Dans une perspective familiale ou génétique, la figure de la mère, de la grand-mère ou de la tante atteinte du cancer fait figure d' avertissement funèbre.

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