vendredi 11 novembre 2016

Aux États-Unis, des fermes de cadavres pour étudier la décomposition des corps humains

Isabelle Trocheris    31.10.2016


Il est relativement aisé pour des experts d’évaluer, par l’observation, le temps écoulé depuis le décès d’une personne retrouvée dans les bois ou sur un terrain vague, quelques heures ou peu de jours après la mort.
Pour estimer l’intervalle post mortem d’un corps abandonné depuis plus longtemps, il est nécessaire de faire appel à des entomologistes qui étudient le développement des œufs d’insectes pondus dans la dépouille mortelle. Le problème peut se compliquer lorsque le cadavre est isolé du monde extérieur, enveloppé dans un sac en plastique, par exemple, ou si la colonisation par les arthropodes n’a pas lieu, à cause du froid, en hiver. Grâce au séquençage haut débit de l’ADN, et, à des fermes des corps créées au sein de plusieurs universités américaines, les chercheurs espèrent que la microbiologie va pouvoir suppléer et dans certains cas se substituer à l’entomologie pour déterminer le délai post mortem ou même identifier des lieux de sépulture cachés.

Recherche sur le nécrobiome
La première ferme des corps a été créée en 1987 par William Bass, au centre d’anthropologie légale de l’université du Tennessee (UT), à Knoxville. Ce nom a été donné à une parcelle de terrain où les morts sont déposés sur le sol, à l’extérieur, exposés aux éléments. Les cadavres sont acquis par l’intermédiaire d’un programme de dons. Il existe maintenant, aux États-Unis, six établissements d‘observation de la décomposition des corps humains en plein air, chacun situé au sein d’une université. Depuis quelques années, les chercheurs de la mort se concentrent sur l’étude des micro-organismes qui y sont associés, qu’ils appellent le nécrobiome. Pour cela, ils effectuent des prélèvements réguliers sur la peau des sujets décédés et dans le sol sous-jacent. « Sur le plan microbien, la décomposition passe par trois étapes », indique lors d’une conférence récente à Washington, Jennifer DeBruyn, professeure adjointe à UT. Dans un premier temps, ce sont les bactéries de l’intestin qui se multiplient grâce aux macromolécules libérées lors de la lyse cellulaire qui se produit immédiatement après la mort. Dans une deuxième étape, les fluides en provenance de la dépouille imprègnent le sol dont la population microbienne est naturellement très différente.

Yangseung Jeong
Un chercheur, Kathleen Hauter, fait des prélèvements sur un corps au centre d'anthropologie médico-légal de l'université de Tennessee.
Mouches, larves, autres commensaux…
Seuls survivent à cet assaut les micro-organismes qui ne sont pas trop sensibles à l’ammoniaque tandis qu’apparaissent des bactéries opportunistes. Enfin, tous les visiteurs du cadavre, mouches et larves, y apportent leurs commensaux. Cette succession d’évènements se traduit par de grands changements de la flore microbienne. Basé sur ces variations, « l’intervalle post mortem peut être évalué dans les vingt-cinq premiers jours après la mort avec une précision de deux à quatre jours, indique au « Quotidien », Jessica Metcalf, professeure adjointe à l’université d’État du Colorado. Entre deux à trois mois, la marge d’erreur est de cinq à six jours. »
Néanmoins, les expériences ont concerné un nombre limité de corps et d’environnements. Pour raffiner leurs résultats et les rendre plus fiables, trois des centres de recherches d’anthropologie légale ont lancé un projet, financé par le département de la justice américaine, dans lequel la décomposition des cadavres va être étudiée en fonction des saisons et dans des situations géographiques et climatiques différentes. Quant à la détection de sépultures cachées, elle pourrait s’appuyer sur la constatation que certains micro-organismes humains, comme les bactéroïdes, peuvent persister dans le sol jusqu’à un an après le dépôt du corps.

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