Après un « Dictionnaire des risques psychosociaux » réussi, Philippe Zawieja dépasse l’approche biomédicale et mobilise l’ensemble des sciences humaines et sociales pour élargir, dans son nouvel essai, notre perception de la fatigue.
LE MONDE | | Par Margherita Nasi
Affaiblissement physique et mental ? Abattement ? Oisiveté ? Usure ? « De quoi la fatigue est-elle le nom ? ».
Pour répondre à cette question apparemment simple, le chercheur associé au centre de recherche sur les risques et les crises de Mines ParisTech Philippe Zawieja s’est lancé dans une aventure un peu folle : il a rassemblé une petite centaine de contributeurs – médecins, ingénieurs, sociologues, anthropologues, philosophes ou encore professeurs de littérature – autour d’un Dictionnaire de la fatigue. Un exercice de style qu’il avait déjà réussi pour produire le Dictionnaire des risques psychosociaux (Seuil) il y a deux ans.
Si la médecine occidentale s’est intéressée à la fatigue comme fait somatique dès ses précurseurs grecs, le sujet ne devient un objet scientifique étudié avec rigueur méthodologique qu’à la fin du XIXe siècle, même si elle était toujours « traitée avec un certain mépris par la gent médicale, qui y voit un concept de sens commun, sans grande utilité ni cohérence ». Quant à la médecine moderne, elle met l’accent sur son degré d’intensité, ses causes et ses effets, « comme si sa nature importait peu finalement ».
Une démarche ambitieuse
La fatigue serait-elle un non-sujet pour la science ? « S’il est impossible d’aboutir frontalement à une définition consensuelle du phénomène, peut-être une approche par approximation nous permettra-t-elle de nous pencher au plus près du cœur du phénomène », écrit Philippe Zawieja. Pour tenter de déterminer ce qu’est la fatigue, le dictionnaire dépasse alors l’approche biomédicale et mobilise l’ensemble des sciences humaines et sociales. Une démarche ambitieuse, qui navigue constamment « entre Charybde et Scylla, entre la tentation d’une trop grande médicalisation et celle d’une trop grande sociologisation ».
Chaque entrée est rédigée selon un même schéma : l’intitulé est suivi d’un texte volontairement court, complété par des indications bibliographiques, qui s’achève par des propositions de renvoi vers d’autres entrées du dictionnaire.
De « Aboulie » à « Simone Weil », en passant par « Virgile », « Mélancolie », « Morphée » ou « Fatigue au travail », le dictionnaire n’hésite pas à puiser des éléments de réflexion dans la littérature romanesque.
L’œuvre est nécessairement et sciemment incomplète : saint Augustin, Nietzsche, Jean-Paul Sartre ou encore Cesare Pavese auraient pu tout aussi bien faire l’objet d’entrées dans cet ouvrage. Tel est le destin « de tout projet éditorial raisonnablement déraisonnable ».
Dictionnaire de la fatigue, de Philippe Zawieja (Librairie Droz, 864 pages,
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