samedi 3 septembre 2016

Trop de MDPH tue la MDPH

 03/09/2016

Des centaines de parents n’ont pas pris le chemin de l’école jeudi. Ils n’ont pas affiché un sourire forcé face à leurs rejetons traînant des pieds à l’idée de rencontrer leur institutrice et leurs nouveaux amis. Ils ne se sont pas couchés, rassurés d’avoir passés cette première journée sans trop d’embûches. Leurs enfants n’iront pas à l’école. Ou seulement quelques heures par semaine. Leurs enfants sont atteints d’un handicap qui les empêche de voir s’ouvrir les portes des établissements scolaires. Dans certains cas, «l’inclusion » dans le monde scolaire est tout simplement refusée par les directions des écoles, n’hésitant pas,  sous de faux arguments, à violer la loi. Dans d’autres, la demande d’Assistante de vie scolaire (AVS) n’a pas encore abouti. Ou la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) n’a pas encore eu le temps de statuer sur les aménagements à mettre en place.

Un problème ? Une mission pour la MDPH !

Ces structures nées avec la loi du 11 février 2005 sur l’intégration des personnes handicapées croulent sous les dossiers et les demandes. Et les délais d’attente s’allongent. Les raisons de l’encombrement des MDPH sont multiples. Dans cette liste, sans jouer un rôle prépondérant, une utilisation irraisonnée de ces services n’est pas exclure. De la même manière qu’il existe probablement une surmédicalisation, s’installe en effet sans doute dans notre société une tendance à considérer tout "décalage" avec les normes, toute "difficulté" à s’intégrer comme la manifestation d’un handicap. Un handicap à prendre en charge le plus rapidement possible.

Diagnostic différentiel

Sur son blog baptisé ASK, le docteur Sylvain Fevre observait ainsi dans une note récente. « L’école, alors qu’on ne lui fournit pas toujours les moyens indispensables à l’accueil du handicap ni les outils de compréhension des autres souffrances, devient dans le même temps ce lieu de pression pour les enfants n’entrant pas dans le moule scolaire. Alors on tente de les faire entrer dans celui de la MDPH ». Et pour illustrer son propos, le praticien évoquait l’exemple en partie fictif d’un jeune enfant présentant des troubles du comportement en maternelle et un retard de langage face auxquels il serait aisé de proposer ce qu’il appelle "une MDPHisation". Pourtant, de tels symptômes pourraient s’expliquer différemment que par l’existence d’un handicap, par exemple par l’exposition à des violences physiques ou psychiques. « Je ne suis pas spécialiste de la question mais sans être pédopsychiatre ni "psycho traumatologue", on peut aisément imaginer qu’un jeune enfant normalement en pleine phase de construction présente quelques difficultés lorsqu’il est quotidiennement baigné dans un climat de violences. Ces difficultés se présentant sous la forme de symptômes que l’on retrouve également dans certaines pathologies relevant effectivement du champ du handicap donc de la MDPH » analyse-t-il.

Double effet

Par cette réflexion, Sylvain Fevre n’entend nullement dénoncer le rôle des MDPH : il insiste à plusieurs reprises sur le fait que le travail de ces structures est largement utile. Cependant, il entend mettre en garde contre une systématisation du recours à ces dernières. Cette systématisation a des effets dommageables non seulement pour le sujet lui-même, qui peut se voir entraîner dans un "parcours" et un "système" qui ne répond pas à ses difficultés propres, mais aussi pour l’ensemble de la société puisque sa prise en charge risque de priver d’autres individus, dont les besoins sont plus réels, d’une réponse adaptée.

La MDPH : la réponse à tout !

Cette tendance est probablement le résultat du manque de formation du monde enseignant et des personnels d’autres structures, du désarroi du système scolaire face à certaines situations et aussi d’une certaine absence de moyens alternatifs. A cet égard, la MDPH est un paravent face aux nombreux manques, un paravent qui sert d’excuse facile aux décideurs politiques. « La MDPH noyée sous les dossiers ne représente-t-elle pas ce bel alibi politique leur permettant de se défiler face à la nécessité de repenser l’école ou encore la façon de prendre en charge une partie des difficultés éducatives, sociales et familiales des uns et des autres » analyse Sylvain Fevre.

Intervenir à tout prix

Cette "MDPhisation" s’explique également probablement par un interventionnisme de plus en plus marqué. Cet interventionnisme se retrouve dans la sphère médicale pure et Sylvain Fevre donne plusieurs exemples de la surmédicalisation de notre société, une surmédicalisation qu’il juge souvent dommageable. « Comme il y a de faux positifs avec certains examens, donc des malades en parfaite santé, des cancéreux sans cancer, des hypercholestérolémiques considérés comme malades donc traités alors qu’ils ne risquent rien, des prostatectomies-mastectomies-appendicectomies-chimiothérapies évitables et bien d’autres exemples pourraient suivre, je pense ne pas trop m’avancer en affirmant qu’il y a certainement des personnes MDPHisées alors qu’elles ne relèvent pas du champ du handicap » avance-t-il. A cet interventionnisme, s’ajoute un désir d’étiqueter, de cataloguer, de définir de plus en plus pressant, notamment en médecine. «Nous avons la fâcheuse tendance, médecins ou non, à trop fréquemment établir un rapide raccourci entre un symptôme et une maladie, à considérer un simple facteur de risque comme une pathologie à traiter sur le champ », regrette-t-il.

Le vrai handicap

Cette "MDPhisation" pourrait également avoir pour conséquence de déformer la perception du handicap. Hier, il était essentiel que la société porte un nouveau regard sur le handicap en renonçant à l’exclusion. Mais aujourd’hui, en faisant de chaque enfant perturbé par certains aspects de sa vie un enfant malade, en dessinant, comme récemment dans une dépêche de l’AFP sur la Silicon Valley les "geeks" timides comme de potentiels "autistes", ne va-t-on pas conduire à oublier que le véritable handicap est différent et source de souffrances souvent plus importantes ?
Aurélie Haroche

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