Françoise Poot,
Consultation de psychodermatologie, Service de Dermatologie, HU Erasme, ULB, Bruxelles
Cet article résume une nouvelle classification des dermatoses autoprovoquées proposée par l’European Society for Dermatology and Psychiatry (ESDaP). Celle-ci est basée sur la question du secret pour séparer 2 grands groupes: celui où le comportement est caché et celui où il ne l’est pas. Ensuite les différentes manifestations sont envisagées ainsi que l’approche proposée pour le dermatologue et les traitements à sa portée. Se centrer sur la souffrance du patient permet au soignant de ne pas se sentir manipulé ou en colère. La création d’une relation de confiance avec le patient est la base de la prise en charge pour pouvoir l’adresser efficacement en psychodermatologie ou à un professionnel de la santé mentale familier de ces comportements et des troubles de personnalité sous-jacents. L’appellation trouble factice doit être préférée en général à celle de pathomimie qui est plus spécifique. L’utilisation d’une meilleure classification permettra d’unifier la littérature afin d’améliorer la prise en charge de ces patients.
l Les dermatoses auto-provoquées sont celles qui questionnent le plus le dermatologue. Tout d’abord parce qu’il se demande toujours s’il passe à côté d’un diagnostic. Ceci va l’amener à réaliser des examens complémentaires, des biopsies. Ensuite, il peut vivre de la colère et de la frustration car il doit prendre en charge des lésions que le patient pourrait éviter. Si en plus le patient lui cache qu’il provoque lui-même ses lésions, le dermatologue se sent souvent manipulé et impuissant et d’autant plus en colère. Les lésions cutanées auto-provoquées constituent un ensemble dont la classification n’était pas claire jusqu’ici. Ceci entraînait des confusions dans la définition et dans l’approche thérapeutique qui nécessite bien souvent une prise en charge multidisciplinaire associant dermatologues, psychologues, psychothérapeutes et psychiatres. Les experts de l’European Society for Dermatolgy and Psychiatry (ESDaP) associant des dermatologues, psychologues et psychiatres se sont réunis pour établir une classification commune de ces troubles (1). La première question qui permet de classifier ces désordres en 2 grands groupes est la question du secret. Le ou la patient(e) (le sex ratio entre hommes et femmes est de 1:3) reconnaît-il être responsable par son comportement de ses lésions cutanées. Bien entendu, on évitera de poser cette question directement. Le dermatologue préférera poser des questions ouvertes: « Comment ces lésions apparaissent-elles ? ». Une réponse comme « je ne sais pas », « je n’ai aucune idée », «ce n’est certainement pas moi ! » doivent faire penser à un comportement inavoué. Si, par contre, la réponse est « quand cela chatouille je ne peux m’empêcher de gratter » ou « quand je suis fatiguée je m’arrache les cheveux sans en avoir conscience » permet d’évoquer le comportement ouvertement. La deuxième question si le comportement est avoué est de déterminer si le comportement est compulsif ou impulsif. Un comportement compulsif est associé à une idée obsessive survenant de façon récurrente, menant à une perte de temps, des problèmes relationnels, des tentatives pour résister au comportement, ce qui à son tour augmente la tension psychologique jusqu’au moment où l’acte lui-même amène un soulagement. Un comportement impulsif est un acte isolé parfois récurrent d’agression incontrôlée sur soi ou les autres, sans idée obsessive permettant le soulagement d’états psychologiques insupportables. Voici des questions qui permettent de différencier les 2 types:
• « Avant d’agir sur votre peau, essayez-vous de résister (comportement compulsif) ou cela surgit-il très vite sans que vous ayez pu y réfléchir (comportement impulsif) ? »
• « Ressentez-vous une augmentation du besoin quand vous essayez d’y résister et le comportement vous procure-t-il de la détente mais avec le besoin de recommencer rapidement (comportement compulsif) ou quand vous avez agi sur votre peau cela vous détend pour un certain temps (comportement impulsif) ? »
• « Le besoin d’abîmer votre peau surgit-il automatiquement sans que vous puissiez vous contrôler (comportement impulsif) ou avez-vous le sentiment de perdre votre temps en face du miroir ou quand vous agissez sur votre peau ou vos cheveux ? »
Dans les dermatoses ou le comportement est gardé secret, il faut différencier :
• la simulation: il y a un intérêt social (éviter l’école, les examens) ou financier à ce comportement;
• le trouble factice: le comportement est un moyen de gérer des difficultés psychologiques importantes sans un bénéfice externe social ou financier. Les déterminants sont internes, souvent inconscients. L’abus physique, sexuel ou psychologique est fréquent dans l’enfance de ces patients. Mais un stress émotionnel récent peut précipiter la création des lésions. Ce comportement peut être considéré comme un appel à l’aide;
• la pathomimie: ce terme a été longtemps utilisé comme synonyme de trouble factice. Il doit être réservé à l’induction de lésions mimant une pathologie dermatologique, par exemple des lésions ressemblant à une dermatite atopique par frottement. Cela peut être une simulation ou un trouble factice.
Le syndrome de Münchhausen est défini par la triade
1) symptômes factices
2) shopping médical
3) pseudologia fantastica ou récit d’histoires fantastiques et exagérées. Des hospitalisations multiples pour chirurgie sont réalisées. L’atteinte corporelle est déléguée aux soignants. Un exemple pourrait être un patient se présentant avec des douleurs et des altérations invisibles de la peau qui demanderaient des biopsies répétées. Le syndrome de Münchhausen by proxy atteint des enfants soumis par leurs parents à des lésions présentées comme spontanées. C’est une forme d’abus afin d’établir un contact avec les professionnels soignants pour les mêmes raisons que le trouble factice. Dans ce cas, l’enfant doit en être absolument protégé.
Quel traitement pour les dermatoses auto-provoquées ?
La préparation du patient
La prise en charge dépend d’abord d’une bonne relation médecin-patient. Une bonne écoute, la capacité de montrer de l’empathie et d’engager une communication sans jugement
sont indispensables. La participation à un groupe Balint (2) peut aider à gérer les sentiments de découragement et de frustration fréquents chez les soignants car ces patients ne s’améliorent pas facilement et parfois même s’aggravent malgré leurs soins. L’attitude la plus négative consiste à refuser de les traiter ou à les envoyer directement chez un professionnel de la santé mentale sans n’avoir établi aucune relation médecin-patient. Ces patients doivent avoir compris leur situation et être motivés avant d’être adressés. Ils sont souvent capables d’accepter que les symptômes soient aggravés par le stress. Malgré cela, 15 à 20% des patients refusent tout traitement psychiatrique (3, 4).
Le traitement dermatologique
Les techniques classiques pour traiter les plaies cutanées peuvent donner au dermatologue l’opportunité de développer une bonne communication avec le patient et de l’engager à parler de ses problèmes de vie. Il sera utile de maintenir ces traitements au cours de la prise en charge psychiatrique car beaucoup de patients sont ambivalents pour cette approche. Ce sera donc le moment pour le dermatologue de le remotiver. Les infirmières présentes en dermatologie sont aussi une ressource. Le contact avec elles est moins intimidant qu’avec le dermatologue et elles peuvent recueillir d’autres informations ou signaler ce qu’elles remarquent dans le comportement. Une difficulté à supporter le contact physique doit faire suspecter un abus physique ou sexuel dans l’enfance ou un syndrome de stress post-traumatique (5). L’utilisation du discours indirect, se référant à d’autres patients qui avaient des problèmes cutanés similaires sous-tendus par des difficultés psychologiques, permet de vérifier si le patient est prêt à une approche psychologique.
Approches spécifiques : ce qui est utile pour le dermatologue en se référant à la classification décrite ci-dessus
Les excoriations cutanées et troubles associés (spectre compulsif) Exemples: excoriations, acné excoriée, trichotillomanie, onychophagie…
Il peut y avoir des lésions cutanées préexistantes (acné excoriée) ou non. Ces patients souffrent fréquemment d’anxiété, de dépression, de troubles obsessionnels compulsifs (TOC), de syndrome dysmorphique (BDD) s’il y a acné excoriée. Ils sont souvent honteux de leur comportement et ne l’avouent pas spontanément. Il faut gagner leur confiance. Ils essayent de résister à leur comportement et donc les commentaires comme « vous devez arrêter de faire cela» ne les aident pas. De même, il faut demander à la famille de ne pas réagir au comportement sauf si le patient le demande pour en prendre mieux conscience. Le fait de nommer le mécanisme obsessif-compulsif et de rechercher avec le patient dans quelle situation le comportement survient peut déjà le soulager. Les idées suicidaires sont rares. Un traitement systémique à l’isotrétinoïne n’est pas recommandé s’il y a déjà de la dépression. Pour l’onychophagie, les soins de manucure et les ongles artificiels peuvent parfois aider. Les antidépresseurs sont recommandés. Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) sont les plus efficaces, notamment le Habit Reversal Training (6). L’utilisation d’un journal où le patient note les moments où il a excorié sa peau ou tiré ses cheveux est une autre méthode. Une période limitée sans le comportement (2-3j), décidée de commun accord, entraîne alors une récompense. Si le comportement persiste depuis des années, une psychothérapie doit être envisagée. Le pronostic est généralement favorable si le patient peut accepter le diagnostic. La relation avec le dermatologue est probablement le facteur pronostique le plus important.
Les atteintes cutanées impulsives
Il s’agit de scarifications, morsures, brûlures, coups. Ce type de comportement est le plus fréquent à l’adolescence où il peut atteindre 46,5% de la population (7). Il est alors souvent banalisé. Il peut s’associer à des troubles de personnalité borderline, narcissique ou antisociale. Pour la définition de ces troubles, consultez le DSM-5 (8). La drogue, les comportements à risque, le sexe non protégé et les désordres alimentaires s’y associent fréquemment. Un passé d’abus physique ou sexuel est souvent présent. Lorsqu’il s’agit d’une forme légère, il peut s’agir d’anxiété/dépression. Ce comportement peut être considéré comme un facteur de risque suicidaire chez les adolescents masculins (9). Le premier pas est d’établir une relation de confiance. Ensuite il est possible de discuter de la manière de mettre fin à ce comportement. La psychothérapie est la meilleure option à long terme et le dermatologue peut motiver le patient. C’est aussi la seule possibilité d’améliorer le pronostic.
Les troubles factices
La motivation principale de ce trouble est une adaptation à un contexte psychologique très lourd qui fait préférer le rôle de malade sans bénéfices tangibles immédiats. Outre les troubles de personnalité, les tentatives de suicide sont fréquentes. Les dépendances, troubles alimentaires et troubles de la personnalité sont souvent associés aux atteintes directes comme le grattage, les brûlures, les scarifications tandis que les manipulations indirectes par des médicaments, des produits chimiques se retrouvent dans les troubles anxieux, adaptatifs et somatoformes. La dépression se retrouve dans les 2 catégories. La relation de ces patients avec le médecin est modelée sur la relation qu’ils ont eue avec leurs figures parentales. Toute relation proche, dont ils ont un besoin vital, est perçue comme comportant de la trahison, de l’abandon et même de l’agression. Ceci explique d’une part l’attitude ambivalente qu’ils développent avec le médecin, au départ très fusionnelle, avec une intense demande d’attention, et ensuite une manifestation de désappointement ou même de colère. Il y a coexistence d’amour et de haine. D’autre part, les effets produits par le trouble factice vont provoquer aussi une attitude ambivalente du soignant. C’est donc à la fois un appel à l’aide et un moyen de mettre les soignants à distance. En manipulant leur peau, ils recherchent des sensations douloureuses qui leur permettent de ressentir leurs limites corporelles, la peau intervenant dans la psychogenèse comme la limite du Moi (10).
Ils peuvent ainsi restaurer leurs propres limites, leur identité qui camoufle leur vide intérieur. Les soins qu’ils reçoivent ainsi remplacent ceux dont ils ont manqué dans l’enfance. Pouvoir penser en termes de souffrance psychologique permet au dermatologue de rester en contact avec le patient et évite un long processus d’examens pour exclure toute autre cause. Ne pas oser prendre ce risque renforce la position du patient et peut l’inciter à produire plus de lésions. De plus, cela détériore la relation médecin-patient et ne permet plus d’envisager le côté psychologique. Il est important de ne pas expliquer aux proches que le patient provoque lui-même ses lésions jusqu’au moment où ils le suggèrent eux-mêmes. De même, la prudence s’impose lors de la communication avec le médecin traitant. Ceci rend la position du dermatologue inconfortable car la famille peut être en colère et le trouver incompétent. La confrontation est en général contre-productive et à éviter (11). L’approche thérapeutique nécessite de faire envisager le stress comme un possible médiateur. Le traitement dermatologique peut comprendre des pansements occlusifs qui permettent de vérifier l’auto-provocation des lésions à condition qu’ils soient présentés de façon non confrontante. Le moment du pansement est fondamental pour construire la relation et entamer un dialogue. La chirurgie souvent exigée dans le syndrome de Münchhausen doit être exclue. La chirurgie plastique peut être envisagée uniquement en collaboration avec un professionnel de la santé mentale après un temps raisonnable suivant la guérison des plaies sans récidive et une amélioration de l’état psychologique. Les antidépresseurs peuvent être utiles pour traiter une dépression associée et pour aider le patient à accepter une approche psychologique. Les antipsychotiques, s’ils peuvent être utiles, doivent être utilisés avec précaution pour ne pas choquer le patient et altérer sa confiance. En ce qui concerne la simulation, la relation médecin-patient est encore plus difficile. La première étape est de vérifier le comportement du patient par des pansements occlusifs par exemple. La communication indirecte (parler d’un autre patient qui se provoquait les mêmes lésions pour une raison externe) peut aider et permettre au patient d’expliquer les buts de son comportement. Mais le pronostic est réservé car il s’agit souvent de personnalité antisociale.
Par cet article, j’espère avoir pu aider les dermatologues à prendre en charge ces patients qui peuvent leur paraître difficiles et peu aptes à faire naître leur empathie.
Références
1. Gieler U, Consoli SG, Tomás-Aragones L, Linder DM, Jemec GB, Poot F, Szepietowski JC, de Korte J, Taube KM, Lvov A, Consoli SM.Self-inflicted lesions in dermatology: terminology and classification-a position paper from the European Society for Dermatology and Psychiatry (ESDaP). Acta Derm Venereol 2013;93(1):4-12. doi: 10.2340/00015555-1506.
2. Balint M. Le médecin, son malade et la maladie. Payot, Paris, 1968
3. Tomás-Aragones L, Consoli SG, Consoli SM et al. Self-inflicted lesions in dermatology: a management and therapeutic approach – a position paper from the European Society for Dermatology and Psychiatry (ESDaP). Acta Derm Venereol 2016 submitted
4. Verraes-Derancourt S, Derancourt C, Poot F, Heenen M, Bernard P. Dermatitis artefacta: retrospective study in 31 patients. Ann Dermatol Venereol 2006;133(3):235-8.
5. Delbrouck M. Psychopathologie-Manuel à l’usage du médecin et du psychothérapeute. De Boeck, Bruxelles, 2013.
6. Gupta S, Gargi PD. Habit reversal training for trichotillomania. Int J Trichology 2012;4(1):39-41. doi: 10.4103/0974-7753.96089
7. Lloyd-Richardson EE, Perrine N, Dierker L, Kelley ML. Characteristics and functions of non-suicidal self-injury in a community sample of adolescents. Psychol Med 2007;37:1183-92.
8. American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, ed.5. Washington DC: American Psychiatric Publishing; 2013.
9. Pommereau X. Self-inflicted violence on the skin during adolescence. Enfance et psy 2006;32:58-71.
10. Anzieu D. Le Moi-peau. Dunod, Paris 1995.
11. Eisendrath SJ. Factitious physical disorder: treatment without confrontation. Psychosomatics 1989;30:383-7.
2. Balint M. Le médecin, son malade et la maladie. Payot, Paris, 1968
3. Tomás-Aragones L, Consoli SG, Consoli SM et al. Self-inflicted lesions in dermatology: a management and therapeutic approach – a position paper from the European Society for Dermatology and Psychiatry (ESDaP). Acta Derm Venereol 2016 submitted
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5. Delbrouck M. Psychopathologie-Manuel à l’usage du médecin et du psychothérapeute. De Boeck, Bruxelles, 2013.
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