samedi 2 juillet 2016

Au nom du fils

02/07/2016



Les familles décimées par les attentats qui embrasent l’Europe ces derniers mois n’avaient pour la plupart qu’une connaissance livresque, à travers le filtre des médias, de l’Etat islamique. Dans quelques rares foyers, Daesh a cependant infligé une nouvelle blessure, indélébile. Bien avant ce soir de juin où il patientait dans l’aéroport Atatürk à Istanbul, Fathi Bayoudh avait vu sa vie briser par le groupe terroriste. Elevé dans une société instruite, à l’abri des difficultés matérielles et ayant appris depuis l’enfance à distinguer pouvoir religieux et pouvoir politique, son fils unique, Anouar lui a pourtant annoncé il y a deux ans avoir choisi de rejoindre les combattants de l’Etat islamique en Syrie. La fuite avait d’abord été déguisée sous le prétexte d’un voyage étudiant, avant que la véritable raison ne soit avouée.

De l’excision aux maladies rares

Le monde de Fathi Bayoudh s’est écroulé. L’homme connaissait pourtant une position très respectée en Tunisie. D’abord médecin militaire, ayant servi comme chirurgien dans l’armée tunisienne, le professeur Fathi Bayoudh s’est ensuite consacré à la pédiatrie. Les publications auxquelles il a participé et les présentations proposées lors des congrès de la Société tunisienne de pédiatrie manifestent un intérêt pour un éventail très large des affections pédiatriques. Dans sa jeunesse, il a ainsi pu décrire en Français dans les Annales de pédiatrie les conséquences urogénitales de l’excision chez des petites Somaliennes. Puis, il a participé à la constitution d’un registre tunisien dédiée aux immunodéficiences primaires. Les maladies rares représentaient en effet un sujet essentiel pour le praticien qui présenta lors du congrès de la Société tunisienne de pédiatrie de 2014 des travaux sur le syndrome d’Evans ou la maladie de Kawasaki. Ces préoccupations ne l’éloignaient cependant pas de la pratique quotidienne et des besoins primaires de certains jeunes patients de son pays et des états voisins. En 2003, il avait ainsi participé à la délégation de médecins tunisiens venus assister l’Algérie au lendemain du tremblement de terre de Boumerdes.

Deux ans d’enfer

Cette carrière exemplaire aurait pu s’achever dans la douceur de la renommée et le confort qu’offre ce type de position, notamment en Tunisie. Le départ de son fils, sa mise en danger quotidienne, son pacte avec une organisation d’assassins vint rompre brutalement ces rêves de tranquillité. Pendant deux ans, Fathi Bayoudh  n’a cessé de combattre pour tenter de libérer son fils de l’emprise qui l’avait éloignée de sa famille et de son pays. Grâce aux appuis dont il bénéficie dans le monde politique tunisien, son fils a pu être localisé, sa présence en Irak et en Syrie semble avoir été attestée. Difficile cependant de déterminer quels ont été les agissements d’Anouar. Un contact a cependant pu être rétabli entre le père et le fils et le docteur Bayoudh a pu convaincre son enfant de quitter Daesh, de renoncer à la guerre, de revenir auprès de lui. Anouar s’était rendu et avait été, comme le veut la procédure, emprisonné en Turquie. Ces dernières semaines, Fathi Bayoudh multipliait donc les allers et retours vers Istanbul pour accélérer les démarches visant à permettre le retour de son fils dans son pays. Le soir du 28 juin, à l'aéroport Atatürk, proche de l’objectif obsédant qu’il s’était fixé il y a deux ans, il attendait son épouse. Les terroristes qui ont tué 41 personnes ce soir là dans la capitale turque ont assassiné le père et le médecin.
Léa Crébat

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