vendredi 10 juin 2016

La prévention de la pénibilité n'est que trop partiellement appliquée dans la fonction publique


Il est beaucoup trop tôt pour transposer à la fonction publique le compte personnel de prévention de la pénibilité. Tel est l'avertissement de l'Igas et l'IGA, qui pointent le retard des employeurs publics, notamment hospitaliers, à respecter leurs obligations. Des préalables sont à lever sur les contrôles, les statistiques, les compensations.

La transposition du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) aux agents publics, aussi "souhaitable" soit-elle, s'avère "pour l'heure prématurée" (1). Tel est le constat dressé par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et celle de l'administration (IGA) dans leur rapport sur la prévention et la prise en compte de la pénibilité au travail au sein de la fonction publique. Présenté aux syndicats ce 6 juin (2), ce rapport, dont Hospimedia a obtenu copie (à télécharger ci-dessous), pointe en effet "la mise en œuvre incomplète de leurs obligations par les employeurs publics", notamment hospitaliers : documents uniques d'évaluation des risques professionnelles (DUER), fiches individuelles d'exposition aux risques professionnels... Une méconnaissance qui passe d'autant plus mal, pour les deux inspections, que certains textes sont parus depuis plusieurs années. "La DGOS ne dispose d'aucune base de données centralisée relative à la réalité de la mise en œuvre des obligations des employeurs au sein des établissements de santé et médico-sociaux", illustrent ainsi l'Igas et l'IGA. Elle estime certes que les obligations sont "globalement" appliquées mais "aucun contrôle ne semble être réalisé" par le ministère des Affaires sociales et de la Santé. La FHF le reconnaît d'ailleurs, l'état des lieux s'avère difficile à établir : "toutes les structures hospitalières ne sont pas à ce jour dotées d'un DUER exhaustif et actualisé annuellement". Ce qui lui fait dire "qu'on assiste seulement aux prémices de la traçabilité individuelle aux expositions, sur la base du document unique".

Plus de 600 000 hospitaliers concernés par la pénibilité

Difficile de chiffrer globalement le nombre de fonctionnaires concernés par la pénibilité faute de cartographie adéquate des métiers. Selon les chiffres de la Direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares), la fonction publique hospitalière (FPH) serait de loin la première concernée avec 52% des effectifs (contre 37% pour la Territoriale et 18% pour l'État) : 602 000 agents seraient soumis à au moins trois contraintes physiques intenses (bruit, manutentions de charges, postures difficiles, risques chimique et biologique, horaires et rythmes de travail...). De même, 44% des hospitaliers seraient soumis à au moins une contrainte physique intense (contre 39% des salariés du privé).

Approfondir la certification HAS


Les raisons de ces "lacunes" sont multiples, notent les deux inspections : l'instabilité et la complexité des textes législatifs et réglementaires ; la pénurie de médecins de prévention ; l'inadaptation de certains critères aux risques professionnels de la fonction publique ; le caractère "isolé, déconcentré voire autonome" des établissements de santé et médico-sociaux ; un manque d'appui méthodologique et de soutien pour identifier puis traiter les enjeux de la pénibilité des postes de travail... Le constat n'est pas tout noir pour autant. L'Igas et l'IGA reconnaissent que les employeurs publics ont su prendre en compte la prévention de la pénibilité et des risques professionnels "par l'intermédiaire de dispositifs et d'actions diversifiés" : départs anticipés en retraite, aménagement du temps de travail, primes, formations, reconversions, contrats locaux d’amélioration des conditions de travail (Clact)... "Un effort de structuration des équipes de préventeurs" est également souligné. Exemple hospitalier, la certification par la Haute Autorité de santé (HAS) : une idée "intéressante" qu'il conviendrait "d'approfondir" dans toute la fonction publique. Mais là aussi les inspections pondèrent rapidement ce satisfecit : l'absence de réalisation du critère "santé et sécurité au travail" — ou sa mise en œuvre imparfaite — génère peut-être des réserves mais sans les classer comme des "pratiques exigibles prioritaires". Aucune décision de certification péjorative ni non-certification ne peut donc en découler, déplorent l'Igas et l'IGA, ce qui est au contraire le cas de la "qualité de la vie au travail", qualifiée comme une thématique obligatoire du compte qualité.

Toiletter la catégorie active


Enfin, le classement en catégorie active, pour ne revenir que sur ce dispositif de compensation, n'est pas sans poser question aux inspections, qui poussent à le "toiletter". D'une part, cette réponse collective et statutaire n'est centrée que sur une réparation en fin de carrière : rien à voir avec une prévention des risques tout au long de la vie. D'autre part, certains métiers répondant aux critères de pénibilité n'y sont pas classés (les infirmiers exerçant dans certains services de soins mais qui ont choisi de passer en catégorie A, les conducteurs ambulanciers en Smur) quand d'autres a contrario le sont sans réelles justifications (les infirmiers et aides-soignants affectés aux consultations externes, qui opèrent de jour et en semaine). En outre, le critère hospitalier d'un "contact direct et permanent avec les patients" semble désormais "obsolète" et "difficilement utilisable" pour justifier un classement. La nation de catégorie active apparaît donc "de moins en moins en phase avec la réalité des emplois et des postes". Par conséquent, un certain nombre de "préalables" sont à lever avant toute transposition du C3P aux fonctionnaires, préviennent l'Igas et l'IGA, délivrant treize recommandations dont l'installation d'un véritable pilotage national sous l'égide de la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP). Et puis, il conviendrait peut-être déjà d'atténuer les craintes qui prévalent dans le secteur privé : que le dénombrement et le suivi de l'exposition à la pénibilité ne vire à la lourdeur administrative ; que l'élaboration de la fiche individuelle pénibilité ne soit coûteuse, lourde et complexe ; que les postes classifiés pénibles ne soient considérés comme un avantage acquis.
Thomas Quéguiner

(1) Dans le privé, le C3P est effectif depuis le 1er janvier 2015 sur quatre critères (travail de nuit, en équipes successives alternantes, répétitif, en milieu hyperbare), six autres s'ajouteront le 1er juillet prochain (manutention de charges lourdes, postures pénibles forçant les articulations, vibrations mécaniques, agents chimiques dangereux y compris poussières et fumées, températures extrêmes, bruit).
(2) Au cours de leur mission, l'Igas et l'IGA ont fait le choix de renoncer à rencontrer les syndicats pour ne pas interférer avec la concertation lancée par la DGAFP et la mise en place de groupes de travail, dont l'un consacré à la pénibilité.

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