vendredi 29 avril 2016

Soigner le stress post-traumatique

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par Sandrine Cabut


Une nouvelle thérapie canadienne va être prochainement testée, auprès de volontaires, dans l'espoir de soulager les victimes de traumatismes.
Une nouvelle thérapie canadienne va être prochainement testée, auprès de volontaires, dans l'espoir de soulager les victimes de traumatismes. Yasmine Gateau

C’est une étude de terrain sans précédent sur l’état de stress post-traumatique (ESPT) qui se lance dans une dizaine d’hôpitaux franciliens. Objectif : évaluer une thérapie innovante, associant une psychothérapie et un médicament – le propanolol –, chez des personnes souffrant de stress post-traumatique, principalement à la suite des attentats du 13 novembre 2015. Le professeur Alain Brunet, directeur de recherche en psychotraumatologie à l’université McGill de Montréal (Canada), à l’origine de cette stratégie, et le professeur Bruno Millet (psychiatre à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière), qui coordonne l’essai, espèrent recruter plus de 400 volontaires. Les grandes lignes du projet, baptisé Paris MEM, ont été présentées le 13 avril au Centre culturel canadien, à Paris.

Reviviscences répétées de l’événement traumatisant, avec flash-back et cauchemars ; stratégies d’évitement des situations et des lieux pouvant rappeler le traumatisme ; perte d’intérêt pour les activités auparavant appréciées ; état de tension permanent avec anxiété, insomnie… L’ESPT est un trouble très handicapant, qui peut se déclarer des mois voire des années après le traumatisme. Il est associé à un risque accru de dépression, suicide, addictions.
« Un trouble de la mémoire émotionnelle »
Si seule une minorité des individus exposés à des événements traumatisants développe ce syndrome, la proportion est plus élevée pour les traumatismes d’origine humaine et en particulier les attentats. Ainsi, 31 % des rescapés des attentats de Paris de 1995 ont souffert d’ESPT dans les trois ans qui ont suivi.
Les prises en charge précoces par des cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) – auxquelles ont eu recours des milliers de personnes après les attentats du 13-Novembre – ont pour but de prévenir ces séquelles psychiques. Le traitement d’un ESPT diagnostiqué fait, lui, appel en première ­intention à des psychothérapies. Deux techniques sortent du lot : les thérapies cognitivo-comportementales axées sur le traumatisme et l’EMDR (« Eye movement desensitization and reprocessing »). Certains antidépresseurs sont également autorisés. « Ces médicaments sont efficaces, mais un tiers des gens les abandonnent dans les trois mois, du fait d’effets secondaires. Les psychothérapies ont aussi démontré leur efficacité mais le taux de rechute à un an est élevé », relève le professeur Brunet. Depuis les années 2000, son équipe a mis au point et validé un protocole associant une psychothérapie sur six semaines avec réactivation du souvenir traumatique, et du propanolol, un médicament utilisé en cardiologie.
« Si l’on ne se souvenait pas de l’événement traumatisant, il n’y aurait pas de stress post-traumatique. C’est un trouble de la mémoire émotionnelle », justifie Alain Brunet. D’où son idée de bloquer la consolidation ou plutôt la reconsolidation des souvenirs traumatisants. « Quand on vit une expérience, elle se transforme en souvenir. La consolidation, avec passage de la mémoire à court terme vers celle à long terme, prend entre deux et cinq heures, et il est possible d’inter­férer avec ce processus. En revanche, on a longtemps cru qu’un souvenir ­consolidé était permanent, comme marqué au fer rouge. Mais il y a quinze à vingt ans, on a découvert que lorsqu’on se remémore un souvenir, il doit être consolidé de nouveau », explique le psychologue canadien.
Le propanolol agit en bloquant la reconsolidation, il n’efface pas le souvenir mais diminue son intensité émotionnelle. Ce médicament ne fonctionne cependant pas seul, d’où le couplage avec une procédure de remémoration du trauma, souligne Alain Brunet. Efficace dans deux tiers des cas, ce protocole dit « de blocage de la reconsolidation mnésique » est désormais utilisé au ­Québec. En France, il a été testé avec succès sur une petite série de patients avec un ESPT après l’explosion de l’usine AZF de Toulouse, en 2001.
Des soignants formés à la nouvelle thérapie
En pratique, le patient prend un comprimé de propanolol avant chacune des six séances de psychothérapie. Lors de la première séance, il écrit le récit de son trauma, récit qu’il lit à l’intervenant lors de chacune des séances ultérieures. A la fin du traitement, le texte ne doit plus correspondre à son ressenti…
Le psychologue canadien a eu l’idée d’une collaboration avec les hôpitaux français, peu après le 13-Novembre. Il a alors contacté Martin Hirsch, le patron de l’AP-HP, pour lui proposer de former bénévolement des soignants à sa méthode. Une ­démarche motivée par la solidarité mais aussi par la recherche : c’est l’occasion d’une évaluation sur le terrain, à une échelle inédite, de cette thérapie. Mi-décembre, Alain Brunet a présenté son projet aux soignants parisiens. « C’était un peu houleux », se rappelle-t-il. Si les travaux du psychologue canadien sont internationalement reconnus, son approche ne fait pas l’unanimité, notamment dans les équipes avec des pratiques psychodynamiques (d’inspiration psychanalytique).
Séduit, le professeur Bruno Millet – qui, au départ, n’est pas un spécialiste de l’ESPT – s’est porté volontaire pour coordonner un essai. Depuis, Alain Brunet a formé une centaine de médecins et psychologues. Une dizaine d’hôpitaux ont accepté de participer, mais la liste n’est pas définitive. L’étude, qui n’a pas encore toutes les autorisations, devrait démarrer d’ici à fin avril. Le traitement canadien sera comparé aux méthodes habituelles de prise en charge de l’ESPT. Un numéro d’appel unique (01-42-16-15-35) a été ouvert, et un site Internet d’information devrait suivre.

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