vendredi 1 avril 2016

Sexe et self-control sont-ils compatibles ?

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par Pierre Barthélémy

PLAYBOY

C’est un petit monument de la science improbable qui fête ses 10 ans. En 2006 donc, deux membres d’éminentes institutions américaines de la recherche, Dan Ariely (Massachusetts Institute of Technology) et George Loewenstein (université Carnegie-Mellon à Pittsburgh, Pennsylvanie), publiaient dans le Journal of Behavioral Decision Making une étude consacrée à l’influence de l’excitation sexuelle, chez de jeunes hommes, sur les décisions qu’ils sont prêts à prendre dans le feu de l’action. Les auteurs voulaient ­déterminer quel impact la frénésie de l’embrasement pouvait avoir sur trois points  : la préférence pour telle ou telle activité sexuelle  ; le choix de comportements moralement douteux pour obtenir une « gratification  »  ; l’oubli du « sortez couvert ».
Toute la difficulté de l’exercice, on s’en doute, consistait à élaborer un protocole fiable et contrôlable sur un sujet qui touche à l’intime. Nos deux chercheurs ont donc fait preuve d’une ingéniosité remarquable pour mettre au point leur expérience, en demandant notamment aux participants de prendre un peu les choses en main, si l’on peut dire. Quelques dizaines de volontaires se virent ­confier un ordinateur portable doté d’un clavier très simplifié ne comptant que quelques touches, dont l’étude précise qu’il était « facilement utilisable avec la main non dominante », étant donné que l’autre main servait d’excitateur « exogène » – sauf pour les membres du groupe témoin dont l’excitatiomètre devait rester à zéro.
Pour les vrais cobayes, l’écran était divisé en trois parties : à gauche, un grand espace affichant des photos coquines  ; à droite une barre contenant un « thermomètre de l’excitation »avec un curseur à déplacer à l’aide de deux touches du clavier, du bleu (je reste de glace) au rouge (l’ambiance est très chaude tout à coup)  ; en bas, un espace où défilaient des questions auxquelles on devait là encore répondre en bougeant un curseur. On pouvait ainsi passer du « non catégorique » au « oui franc et massif » avec, entre, ­toutes les nuances du « peut-être ».



L’empire des sens

On demandait aux sujets s’ils étaient attirés par les chaussures de femmes, les nymphettes de 12  ans, les animaux, les hommes, les obèses, les femmes de 40, 50 ou 60  ans, si une expérience de triolisme les tentait, s’ils apprécieraient une fessée, s’ils étaient prêts à droguer une femme pour abuser d’elle ou à lui dire «  je t’aime  » sans en penser un traître mot, etc. Bref des questions normales pour des mecs. Rappelons que lesdits mâles devaient répondre à ces questions en regardant des images osées et en se tirlipotant le schmilblick, pour reprendre une expression chère à Coluche. Au cas où ils auraient perdu le contrôle manuel, ils devaient presser la touche « tab », ce qui mettait fin à l’expérience. Les mouchoirs en papier n’étaient pas fournis.
Les résultats sont édifiants et de nature à ébranler les certitudes quant à la force du self control. Pour le dire clairement, les hommes excités se révélaient bien plus que les autres prêts à faire n’importe quoi pour avoir un rapport sexuel, quelle qu’en fût la nature. On imagine que certains auraient même été d’accord pour se faire fouetter, attachés à un âne, par une femme obèse, après l’avoir droguée, le tout sans préservatif. Les auteurs soulignent que la magnitude de l’effet mise en évidence est « frappante ». Et le principe de réalité les oblige à dire qu’en appeler au sang-froid des hommes pour qu’ils se ­contrôlent quand ils se trouvent sous l’empire des sens est une stratégie dramatiquement risquée.

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