vendredi 1 avril 2016

Accoucher en maison de naissance : « On apprend à se faire confiance »

LE MONDE  | Par Anne-Aël Durand
Futures et toutes jeunes mamans se retrouvent dans la salle commune du CALM pour boire un thé et partager leurs expériences en attendant leurs consultations.
Futures et toutes jeunes mamans se retrouvent dans la salle commune du CALM pour boire un thé et partager leurs expériences en attendant leurs consultations. JULIE BALAGUE POUR « LE MONDE »
« J’ai passé l’essentiel de mon accouchement ici, dans l’eau, pour avoir moins mal. J’avais les yeux fermés, mais je sentais mon compagnon et la sage-femme près de moi. » Assise sur le rebord de la baignoire, Margaux Dassieu se remémore, sourire aux lèvres, la venue au monde de son fils Milo, en 2014.
Dans la chambre à la décoration soignée, pas de table d’accouchement avec étriers, pas d’appareil de monitoring ou de pieds à perfusion, mais un matériel médical réduit au minimum. Durant les quelques heures du travail, la sage-femme assiste la mère, l’aide à supporter les contractions, vérifie le rythme cardiaque du bébé au stéthoscope et intervient le moins possible. A CALM, pour Comme à la maison, première maison de naissance en France, les futures mères viennent accoucher comme chez elles.
Cette structure associative, qui regroupe six sages-femmes libérales, est installée depuis 2008 dans une aile de la maternité des Bluets, dans le 12e arrondissement de Paris. Jusqu’à présent, la dernière phase du travail, l’expulsion du bébé, devait avoir lieu dans les salles hospitalières, à l’étage. « Il a fallu quitter la chambre au dernier moment », explique Margaux Dassieu en ouvrant la porte qui mène à l’ascenseur. A compter du 1er avril, ce ne sera plus nécessaire : la loi autorise désormais les accouchements en maison de naissance, dans le cadre d’une expérimentation, pour cinq ans. Huit autres établissements doivent ouvrir en France, dont un à La Réunion, au début d’avril.

Une alternative à l’hôpital

Cet accouchement le plus naturel possible — physiologique, selon les termes médicaux — était un choix évident pour Margaux Dassieu : « J’ai passé beaucoup de temps dans les hôpitaux auprès de ma sœur quand j’étais petite. Quand je suis tombée enceinte, j’ai tout de suite su que je ne voulais pas accueillir mon bébé dans cette atmosphère. » A CALM, elle a retrouvé l’ambiance d’une véritable maison : une cuisine où se préparer un thé ; une bibliothèque ; des canapés colorés où se retrouvent femmes enceintes et jeunes mamans qui attendent leur consultation, leur nouveau-né dans les bras ou au sein.
D’autres couples apprécient surtout l’accompagnement global par une seule sage-femme du début à la fin de la grossesse et jusqu’au retour du bébé à la maison, dans les heures qui suivent la naissance. « Mes parents ont eu leurs trois enfants suivis par le même gynécologue-accoucheur, et je voulais cette relation de confiance pour la naissance de mes enfants. Mais c’était bien trop cher pour nous. Du coup, on a cherché ailleurs et on a trouvé encore mieux », raconte Hugo Enlart, papa d’un petit garçon de 15 mois.
Sa compagne, Marie-Aline, a été conquise dès la première réunion à CALM. « Des amies m’avaient raconté leur accouchement, souvent long, sur le dos, avec monitoring, des péridurales qui avaient mal marché pour certaines… Je ne m’imaginais pas sans bouger, prise en charge comme si j’étais malade. Là, on nous présentait une vision de la grossesse et de l’accouchement qui me semblait tellement logique et normale. Je me suis même demandé pourquoi toutes les naissances ne se passaient pas comme ça. »

Désamorcer les peurs

Dès le début de la grossesse, les futures mamans sont reçues individuellement, pour des séances d’une heure et demie mêlant suivi médical et discussions sur la naissance et la parentalité. Seules les échographies sont réalisées à l’extérieur. « Tout allait bien, donc la sage-femme ne m’a vue nue qu’au neuvième mois, quand elle m’a fait une séance d’ostéopathie, explique Marie-Aline. Mais on a beaucoup parlé, de toutes mes peurs et de celles d’Hugo. Elle nous a aidés à les désamorcer. » « La sage-femme n’enseigne pas des techniques pour avoir moins mal, elle apprend plutôt à se faire confiance et à comprendre que la douleur est une alliée, qu’elle aide à accoucher. » « Ce n’est pas de la souffrance, mais une douleur comme celle d’un sportif de haut niveau, qui accompagne l’exploit », renchérit Margaux Dassieu.
Au-delà de la gestion de la douleur, d’autres critères sont requis pour accoucher en maison de naissance. Il faut impérativement connaître une grossesse normale : pas de jumeaux, pas d’antécédents. « Le premier rendez-vous est important. On refuse aussi celles qui ont des problèmes médicaux ou qui habitent trop loin », précise Marjolaine Cordier, sage-femme.
Une centaine de femmes ont été suivies à CALM en 2015, qui aimerait doubler ce chiffre en 2016. Mais près de 30 % de ces patientes ont dû accoucher dans la maternité partenaire des Bluets à cause de complications survenues pendant la grossesse.
Une déception pour certaines. « J’étais supermotivée, je voulais vraiment être actrice de mon accouchement, explique Solène Peron, kinésithérapeute en région parisienne, qui s’était beaucoup documentée avant sa grossesse. Mais mon bébé était en siège et ne s’est pas retourné. J’ai quand même essayé de faire une grande partie du travail à la maison pour sentir le bébé descendre au maximum et arriver à la maternité au dernier moment. »

« On fait vraiment notre travail de sage-femme »

Les restrictions médicales, le nombre limité et la taille réduite des maisons de naissance rendent l’expérience encore confidentielle, même si les responsables de CALM aimeraient voir le concept se développer : « Ici, on a le temps de s’occuper des mères, on fait vraiment notre travail de sage-femme », se félicite Habiba Zaid, qui travaillait auparavant en maternité, où le rythme oblige à passer d’une patiente à l’autre et incite à se reposer sur davantage de médicalisation.
Mais ce temps se paie cher. Les locaux, les assurances, le surcoût engendré par la présence d’une deuxième sage-femme lors de l’accouchement (imposée par la loi mais non dédommagée) engloutissent la dotation de 150 000 euros versée dans le cadre de l’expérimentation. Les 312 euros remboursés par la Sécurité sociale ne suffisent pas à rémunérer le temps passé et l’ensemble des actes de l’accouchement. CALM se voit donc contraint de demander aux mères un forfait supplémentaire de 650 euros. Le prix de cette prise en charge alternative et personnalisée.


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