jeudi 25 février 2016

Prière d’insérer. Joy Sorman campe aux marges

LE MONDE DES LIVRES | Par Jean Birnbaum
GALLIMARD
Enquêtant à Paris sur les logements insalubres, Joy ­Sorman fait ce constat : les personnes qui y vivent ne veulent pas quitter ces lieux de détresse ; souvent, même, elles veulent y retourner. C’est l’une des choses qui apparaissent à la lecture de L’Inhabitable (Gallimard, « L’arbalète », 88 p.), le nouveau livre de cette talentueuse auteure.
Joy Sorman a observé les plafonds lépreux, les prises arrachées des plinthes, l’humidité envahissante, les cafards qui défilent sur les tuyaux, les rats partout chez eux et, au milieu, les enfants qui « mangent les murs », donc exposés au saturnisme… Revenant aux mêmes adresses à plusieurs années de distance, elle observe que, globalement, les promesses de la mairie ont été tenues. Mais, pour tous ceux qui occupent ces espaces en ruine, la perspective du relogement suscite l’angoisse. Car, comme le dit le vieux Ziane, qui vit depuis trente ans dans une piaule pourrie avec Amine, son compagnon de misère, « ici on est bien et malheureux ».

Vivre dans l’insalubrité, c’est vivre quand même, vivre dans et par la solidarité. Etre relogé, c’est risquer la dispersion, perdre ses repères, ses amis, ses soutiens, devoir affronter seul des échéances intenables, des exigences désormais irréalisables, face auxquelles on est désarmé. Voilà pourquoi, malgré l’insistance des services sociaux, « Fatima ne veut rien entendre, crèvera là avec ses pigeons »… Voilà pourquoi, surtout, les damnés du taudis réclament moins un droit au relogement qu’un « droit au retour », la possibilité de revenir chez eux, dans leur bouge enfin rénové.
Joy Sorman rend justice à ces souffrances, à ces résistances. Elle décrit la réalité, telle ou telle « situation un peu compliquée », avec tact et loyauté. Dans ce livre comme dans les précédents, elle campe aux marges de l’existence et de l’écriture. Mais, dans celui-ci plus que dans les autres, on la sent comme en transit, cherchant son propre « droit au retour », une autre manière de s’installer dans le texte, d’habiter la littérature, pour renouer avec quelque chose de soi.

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