mardi 9 février 2016

Les fous, de la camisole au pyjama

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par Catherine Mary
C’est pour cela que nous voudrions que la question des vêtements soit envisagée, car nous avons parfois l’air de romanichels, et la distribution des vêtements a parfois l’air d’un marché aux puces, les belles robes sont toutes froissées. » Malgré son ton docile, cette requête ­exprimée en 1950 dans le journal interne de l’hôpital du Vinatier, à Bron (Grand Lyon), n’en est pas moins chargée de sens. Car dans l’habit porté par la personne internée à l’hôpital psychiatrique se joue la représentation qu’une société se fait du fou et de la place qui lui est donnée. C’est la question explorée par l’exposition « Sens dessus dessous », qui se tient jusqu’au 3 juillet au Vinatier, l’un des plus grands hôpitaux français.
Organisée par un comité scientifique composé d’anthropologues, de psychiatres, d’historiens et d’artistes, elle explore les fonctions et les usages de l’habit au sein de l’institution psychiatrique. La camisole, dont un modèle est présenté dans l’exposition, est ainsi indissociable du modèle asilaire, sur la base duquel ont été construits au XIXe siècle les asiles d’aliénés. Il s’agissait alors de tenir à l’écart l’aliéné agité, selon la terminologie de l’époque, dans un univers clos et autonome où il était contrôlé et soigné. La camisole faisait partie de ce projet. Faite de grosse toile de coton, elle permettait d’immobiliser le patient, les bras croisés sur le torse et les mains liées dans le dos à l’aide d’un système de lacets.

A la portée des malades

Durant la seconde guerre mondiale, 45 000 personnes meurent en France derrière les murs des asiles, livrées à la famine par le ­régime de Vichy. Le modèle asilaire vole donc en éclats à la Libération. La psychothérapie ­institutionnelle est pensée pour humaniser les asiles et en casser l’ordre hiérarchique. Les médecins « tombent la blouse » pour se mettre à la portée des malades, la psychiatrie se déplace en ville avec la création des hôpitaux de jour et des centres médico-psychologiques. Avec l’arrivée, en 1952, du Largactil, le premier neuro­leptique, la contention chimique remplace ­la contention physique, limitant le recours à la camisole sans pour autant le supprimer.
Que dire du pyjama, uniforme rudimentaire marqué du sigle de l’hôpital ? Encore en usage au Vinatier, il tient une grande place dans l’exposition. Il permet de débarrasser le patient psychotique de ses vêtements souvent crasseux à son arrivée à l’hôpital et participe au projet thérapeutique en l’aidant à sortir du déni. Mais il marque aussi son appartenance à l’institution en le stigmatisant et en le dissuadant de s’évader. Si l’exposition évoque les alertes du contrôleur général des lieux de privation de liberté au sujet de ces dérives, la question de la dignité n’est pas posée aussi clairement qu’elle le mérite. Et les démonstrations de détournements du pyjama par les patients, s’en faisant des turbans ou retournant leur veste pour masquer le sigle de l’hôpital, ne suffisent pas à convaincre du bien-fondé de son usage.
« Sens dessus dessous », Ferme du Vinatier, Bron (Rhône). Tél. 04-81-92-56-25.http://www.ch-le-vinatier.fr/ferme

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