lundi 29 février 2016

Ensemencement vaginal, un nouveau rite païen ?

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO
Lors de l'ensemencement, le père enduit la bouche et l’anus du nouveau-né d’une compresse imbibée des sécrétions vaginales de la mère.
Lors de l'ensemencement, le père enduit la bouche et l’anus du nouveau-né d’une compresse imbibée des sécrétions vaginales de la mère.
Par Yves Ville, professeur de gynécologie-obstétrique, et Philippe Hélary, pédopsychiatre.
L’ensemble des muqueuses accessibles de l’organisme humain est colonisé par une flore microbienne abondante et diversifiée, appelée microbiote. Ces micro-organismes exercent des effets bénéfiques essentiels sur la santé de l’individu. De très nombreuses affections humaines seraient liées à des déséquilibres de la composition du microbiote.
A la naissance, le nouveau-né est exposé pour la première fois à un large éventail de micro-organismes à partir d’une variété de sources, y compris le microbiote vaginal de leur mère lorsqu’ils naissent d’un accouchement par voie basse.
La naissance par césarienne induit une colonisation du nouveau-né dominée par la flore de la peau maternelle. Un certain nombre d’études ont rapporté une association entre la naissance par césarienne et des problèmes affectant ces enfants. Le microbiote, à travers des observations scientifiques fortuites mais aussi du fait d’une popularité croissante, pour ne pas dire une mode, a été désigné comme le lien entre la césarienne et le risque de maladies.

Obésité maternelle

Une théorie encore marginale est développée, arguant que les enfants nés par césarienne pourraient bénéficier, à leur naissance, d’un ensemencement par la flore vaginale de leur mère pour être colonisé « comme pendant un accouchement ». Dans cette forme de nouveau rite païen, le père enduit la bouche et l’anus du nouveau-né d’une compresse imbibée des sécrétions vaginales de la mère (vaginal seeding).
Dans son édition du 23 février, le British Medical Journal s’émeut et alerte contre le développement de cette pratique en Grande-Bretagne, à juste titre et pour plusieurs raisons : il n’y a aucune preuve que le microbiote de l’enfant soit modifié par cette pratique, et le vagin porte de nombreux germes normaux (streptocoques) ou pathogènes (maladies sexuellement transmissibles) pouvant avoir des conséquences infectieuses dramatiques pour le nouveau-né.
Les enfants nés par césarienne sont un peu plus susceptibles d’avoir un problème de santé dans l’enfance tel que l’obésité, l’asthme, l’atopie, et un certain nombre d’anomalies du développement neurologique. Cependant, ces études ont eu une capacité limitée à contrôler les facteurs de confusion entre le fait de naître par césarienne et ce qui entoure cet acte, en particulier ce qui en fait poser l’indication. Pour ce qui est du poids et donc du risque d’obésité, celui-ci est augmenté après une naissance par césarienne essentiellement en relation avec une obésité maternelle.

Problèmes respiratoires

Ce dernier aspect illustre la complexité de l’implication de la césarienne dans tous les maux dont on l’accable. En effet, les césariennes sont rarement ­faites sans raisons, parmi lesquelles les problèmes de croissance de fœtus trop gros, en particulier si la mère est obèse ou diabétique, ou trop petits, prématurés ou affaiblis pour d’autres raisons.
Ces enfants présentent souvent des problèmes respiratoires à la naissance pour toutes ces raisons, en particulier la prématurité, qui sont bien plus probablement en lien avec le développement d’un asthme ou d’une allergie de l’enfant que le microbiote du nouveau-né.
Enfin, il est naïf de penser que le fœtus n’est exposé à la flore vaginale que lorsque la tête passe à travers l’orifice vaginal sur le périnée et d’ignorer l’exposition constante à cette flore bien avant l’accouchement, dès l’ouverture de la poche des eaux. Le rôle des antibiotiques doit également être pris en compte dans les études futures puisqu’ils sont prescrits, et à juste titre, à la mère dans au moins 20 % des accouchements.
La césarienne est devenue aux Etats-Unis l’intervention chirurgicale la plus fréquemment pratiquée. Plusieurs facteurs expliquent l’augmentation dans tous les pays de cette fréquence, qui semble cependant atteindre un plateau depuis cinq ans : une augmentation de l’âge des mères à la première grossesse, des grossesses multiples et des projets familiaux plus souvent limités à un ou deux enfants, mais aussi une plus grande fréquence de l’obésité maternelle et du diabète de la grossesse.
Cependant, les indicateurs de mortalité périnatale et maternelle continuent de diminuer, en dépit de l’augmentation constante du nombre de grossesses à risque élevé de complications.

Diabolisation de la césarienne

Les professionnels de santé s’appliquent à contenir les indications de césarienne au bénéfice des mères et de leurs enfants et ont la responsabilité de s’assurer que les dangers de ne pas effectuer une césarienne dépassent les risques de le faire.
La qualité d’un service d’obstétrique ne devrait pas être jugée sur son taux de césariennes mais sur la qualité de leurs indications. Il serait dommage et domma­geable que ces efforts soient considérés par le public comme une diabolisation de la césarienne sur laquelle pourraient « proliférer » les rites autour du microbiote.
Dans le domaine de la santé, le « mythe de la naturalité » se nourrit des scandales sanitaires et du large écho donné à la parole de toute personne s’estimant victime d’un effet secondaire lié à un produit de santé, ainsi que d’une confiance peu critique dans les habitus naturels pour éviter les maladies. Une publication de l’OMS datant de 2003 soulignait la popularité croissante de la médecine naturelle dans toutes les sociétés civilisées.
Les tourments contemporains particulièrement prégnants et médiatisés en boucle peuvent favoriser un fonctionnement névrotique nombriliste et isolationniste, évitant de se confronter aux réalités du monde extérieur et duquel pourrait participer le rituel de l’ensemencement vaginal, tout comme d’ailleurs le rejet des vaccinations.

Réorganisation psychique

Certaines femmes césarisées manifestent par ailleurs un fantasme de castration et le ressenti négatif qu’elles n’ont pas accouché comme toutes les mères, voire qu’elles n’ont pas vraiment accouché. Ce rite pourrait être identifié à l’expression d’un mécanisme psychique de projection de ce fantasme sur les bébés.
En remplaçant l’acte symbolique de « couper le cordon ombilical » entre la mère et l’enfant par le tiers paternel, nécessaire au processus de « triadi­fication », cet ensemencement de la flore vaginale effectué par le père ferait de celui-ci l’exécutant de cette organisation fusionnelle fantasmatique.
C’est ne pas tenir compte de l’évolution généralement favorable des maux psychiques maternels négatifs de la césarienne, car, chez la plupart de ces mères, une consolidation et une réorganisation psychique de ces maux s’effectuera grâce à l’organisation des inter­actions précoces mères-bébés. A l’inverse, s’il existe un état de stress post-traumatique consécutif à leur accouchement qui peut concerner 5 % des mères, cette technique pourrait favoriser l’enkys­tement d’un mal-être psychologique unissant la mère et l’enfant.
Les parents doivent également se rappeler que l’allaitement au sein, tout en évitant les antibio­tiques inutiles chez l’enfant, a un effet puissant, et celui-ci bien établi, sur la constitution du microbiote en développement.
Yves Ville, chef de service de la maternité de l’hôpital Necker-Enfants malades, professeur de gynécologie-obstétrique, université Paris-Descartes.
Philippe Hélary, pédopsychiatre, réseau de périnatalité de la région Centre, service de psychiatrie infanto-juvénile du centre hospitalier de Dreux.

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