mardi 2 février 2016

Devenir adulte avec une maladie chronique

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | Par Florence Rosier
Ils sont au moins 1 million de jeunes, entre 13 et 25 ans, à être atteints d’une maladie rare ou chronique en France. Depuis l’enfance, la plupart sont suivis dans un service de pédiatrie à l’hôpital. « C’est un peu leur deuxième famille : ils connaissent très bien les médecins, les infirmières et le personnel soignant, qui les cocoonent », témoigne la professeure Agnès Hartemann, chef du service de diabétologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Mais ces enfants grandissent. Et vient le moment où ils doivent quitter cet univers rassurant pour rejoindre l’inconnu : le secteur adulte d’un autre hôpital, le plus ­souvent. « C’est un changement de famille », dit Agnès Hartemann.
Deux jeunes patients de 17 ans dans la salle de jeux réservée aux adolescents atteints de cancer, à l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif).
Deux jeunes patients de 17 ans dans la salle de jeux réservée aux adolescents atteints de cancer, à l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif). Julie Balagué pour "Le Monde"
« On estime que 60 % de ces transferts posent problème », relève le docteur Nizar Mahlaoui, du service d’immunologie pédiatrique de l’hôpital Necker-Enfants malades, à Paris. Le 18 janvier, un séminaire était organisé sur ce thème par Necker et l’Hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), deux fleurons de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).
Comment, lors de ce transfert, éviter les ruptures de soins ? Comment favoriser l’autonomie de ces jeunes vis-à-vis de leur maladie et les aider à se projeter dans une vie personnelle d’adulte ? Ce moment charnière est jugé « très sensible », d’autant que l’adolescence est propice à un déni de la maladie et à des comportements à risque. « Les hôpitaux pédiatriques ont du mal à passer la main, et les jeunes patients ont du mal à s’imaginer dans un hôpital pour adultes », ­résume le professeur Eric Thervet, de l’HEGP.

Des progrès dans la prise en charge
Premier constat : ces transitions, dont le nombre augmente, sont dues aux remarquables progrès de la prise en charge de ces enfants. « Entre 1982 et 2007, la proportion de jeunes atteints de mucoviscidose atteignant l’âge de 18 ans est passée de 27 % à 56 % », selon une analyse du centre Cochrane. Pour autant, « ce n’est pas l’âge de 18 ans qui fait qu’on bascule vers une prise en charge dans le secteur adulte. C’est la maturation psychologique ou physique », ­souligne Nizar Mahlaoui.
« Le problème de la transition est ancien pour le diabète de type 1. Mais il est plus récent pour les infections à VIH, les cardiopathies congénitales, la drépanocytose ou la mucoviscidose »,note Antoine Rachas, médecin de santé publique à l’hôpital Bicêtre. Quid du devenir de ces enfants à l’âge adulte ? Peu d’études sont disponibles. Pour les jeunes ayant reçu une transplantation rénale, par exemple, le suivi (« observance ») des traitements chute après le transfert en secteur adulte. D’où un pic de rejets du greffon dans l’année qui suit.
Atteint de mucoviscidose, Maxime, 15 ans, est pris en charge à Necker. Il y a un an, il a reçu une greffe pulmonaire à l’HEGP. « Depuis, je me sens mieux : je ne suis plus essoufflé quand je monte les escaliers, par exemple. » Maxime a moins de soins qu’avant, mais ses traitements médicamenteux restent lourds. « A l’HEGP, ils m’ont appris à faire mon semainier, à respecter les horaires. » Une responsabilisation cruciale pour la maman. « A Necker, j’étais la principale interlocutrice des équipes soignantes. C’est très différent à l’HEGP : après la greffe, on a demandé à Maxime de se prendre en charge. » Il est désormais bien plus investi dans son parcours de soins.
Un « flottement » à l’adolescence
Audrey, 41 ans, témoigne du « flottement » qu’elle a vécu à l’adolescence dans la prise en charge de sa maladie cardiaque congénitale. A l’âge de 7 ans, elle subit sa première intervention chirurgicale, suivie d’une deuxième opération à 14 ans, dans deux hôpitaux parisiens différents. A 17 ans, elle fait un arrêt cardiaque, pris en charge dans un troisième hôpital. « J’étais alors trop âgée pour être suivie en secteur pédiatrique, mais très jeune par rapport aux patients des services adultes », résume-t-elle. Le suivi de sa malformation cardiaque se délite. Pour ses études, elle part en province trois ans. « Je n’ai pas eu de réponse adaptée à ma situation. » A 36 ans, on lui diagnostique une fibrillation atriale avec une insuffisance cardiaque, qui nécessite plusieurs hospitalisations en urgence. « Ce n’est qu’à l’HEGP que j’ai finalement trouvé une réponse pluridisciplinaire. » Elle aura une troisième intervention chirurgicale à Necker dans un service… pédiatrique.
La jeune femme propose plusieurs pistes d’amélioration : par exemple, identifier un référent médical unique ; mieux informer les médecins de ville ; délivrer très tôt un message aux parents et aux patients sur les modalités et la durée du suivi ; assurer une prise en charge psychosociale… Les « perdus de vue » sont la hantise des équipes médicales. « Ils viennent de l’absence d’un référent médical unique, estiment Magalie Ladouceur et Laurence Iserin, cardiologues à Necker et à l’HEGP, respectivement. Pour ces cardiomyopathies congénitales complexes, le suivi doit se faire dans un centre de référence. »
La première consultation adulte
Le 25 janvier, David, 18 ans, atteint de drépanocytose, s’est rendu pour la première fois à la consultation adulte du docteur Jean-Benoît ­Arlet, à l’HEGP. « J’étais un peu angoissé à l’idée de rencontrer un nouveau médecin qui ne savait rien de moi, mais il m’a tout expliqué, calmement. Depuis l’enfance, mes parents sont beaucoup derrière moi et, à Necker, j’ai été préparé à devenir autonome : je n’ai pas de problème pour suivre mes traitements. »Rencontrer des pairs ? « Petit, je me posais plein de questions ! Cela m’aurait intéressé de savoir comment les autres enfants vivaient avec cette maladie. »
D’ailleurs, selon la professeure Marianne de Montalembert, pédiatre à Necker, la transition, pour ces jeunes atteints de drépanocytose, doit se préparer dès l’enfance, il faut se projeter dans l’avenir. « Dès l’annonce du diagnostic, je dis aux parents : “Quand votre enfant aura des enfants, un travail…” » A Necker, des programmes d’éducation thérapeutique pour les parents et les enfants ont été mis en place ; et à l’HEGP pour les jeunes adultes.
D’une autre ampleur est le défi posé par les maladies génétiques rares. « Plus de 25 000 enfants sont suivis pour une de ces maladies à l’Institut Imagine, à Necker, relève le professeur Arnold Munnich, pédiatre et généticien. L’affection dont souffre chacun d’entre eux est unique. » Dans 70 % des cas, aucun diagnostic précis n’est posé. Ces enfants ont souvent un polyhandicap, et leur prise en charge est complexe, mobilisant plusieurs spécialistes. « Ce sont des enfants qui dérangent, souligne Arnold Munnich. Faut-il les maintenir dans un univers pédiatrique ? Nous suivons des jeunes de 25, 30 ou 35 ans qui ne veulent pas nous quitter ! Le projet médico-social est souvent au centre du projet thérapeutique, mais, pour les adultes, les structures médico-sociales font souvent défaut. »
Neuf projets retenus
Depuis 2015, la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France développe un programme «Transition adolescents jeunes adultes ». « Les directeurs de CHU ont été très motivés pour ­répondre à notre appel d’offres national », se réjouit Danuta Pieter, déléguée générale de la Fondation. Neuf projets ont été retenus, à hauteur de 1 million d’euros.
Parmi eux, le projet phare de Necker : « Il a pour ambition de fédérer les ressources existantes au sein de l’AP-HP et de répondre aux besoins identifiés », note le docteur Mahlaoui, coordinateur de ce projet. Trois axes seront développés. Pour les équipes médicales, il s’agira notamment de créer des outils qui manquent : un annuaire recensant les partenaires labellisés ou encore les dossiers numérisés des jeunes patients. Pour les adolescents, le projet prévoit un espace réel et virtuel. Les outils numériques comprendront un site Internet avec des ressources vidéo, des applications smartphones… Quant au lieu de vie, ce sera un espace indépendant au cœur de l’hôpital Necker, qui devrait être prêt en septembre. Il proposera un accueil par un coordinateur qualifié, des consultations individuelles de socio-esthétique, de dermatologie, de gynécologie… Des groupes de parole et des ateliers-débats sont aussi prévus, par exemple sur le thème : « Sport et maladie chronique, c’est possible ! » Pour faire de ce moment sensible un passage réussi vers l’âge adulte.

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