mardi 26 janvier 2016

La révolution de la chirurgie éveillée

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO Par Sandrine Cabut
Depuis près de vingt ans, le professeur Hugues Duffau opère certaines tumeurs cérébrales en éveillant les patients au cours de l’intervention, pour optimiser le geste chirurgical grâce à leur participation active. De son expérience unique, qui porte désormais sur plus de 600 personnes, ce neurochirurgien a tiré un ouvrage qui l’est tout autant, L’Erreur de Broca. Ce livre, dit-il, il l’a écrit pour ses patients et patients potentiels atteints d’un gliome de bas grade, une tumeur cérébrale d’évolution lente.
Mais sa lecture est à recommander bien au-delà. Modèle du genre pour ses qualités didactiques (en fil rouge, le cas très complet et concret d’une jeune femme), L’Erreur de Brocaest aussi le récit du combat acharné de ce médecin pour bousculer un dogme, et une réflexion passionnante sur le cerveau humain.

Le message essentiel est martelé : la zone cérébrale décrite il y a cent cinquante ans par le médecin Paul Broca comme associée à la production de la parole, une zone que beaucoup de ses confrères ne veulent pas opérer, n’existe tout simplement pas. « L’erreur de Broca a été d’introduire l’approche localisationniste, devenue dominante au cours des ans. Par la suite, de nouvelles études de cas, reposant elles aussi sur des bases fausses, ont encouragé cette approche. Il n’empêche, il faut se demander pourquoi la communauté scientifique a toujours refusé de la remettre en cause », écrit Hugues Duffau. D’abord critiqué, voire taxé d’hérésie, il est désormais reconnu au niveau mondial.

Le circuit de la conscience

Au fil de ses interventions et de ses recherches, le neurochirurgien a mis en évidence le rôle essentiel des connexions neuronales dans les fonctions du cerveau et l’extraordinaire plasticité de cet organe. En réveillant ses patients au bloc opératoire, il cartographie leurs réseaux cérébraux à l’aide d’un stimulateur électrique et teste le langage, la motricité… Il détermine ainsi jusqu’où aller dans l’ablation des gliomes sans laisser de séquelle. Avec cette approche, il a déjà doublé l’espérance de vie de porteurs de telles tumeurs. Aujourd’hui, il va plus loin encore, touchant du doigt les circuits des émotions, de la conscience. Il est parvenu à désactiver « les réseaux de la conscience de soi en interaction avec son environnement »d’une femme avant de lui enlever sa tumeur. « Je me sens partir, je suis déconnectée du monde environnant, j’ai l’impression de plonger dans un mur blanc… », a -t-elle déclaré à Hugues Duffau, tandis qu’il agissait sur ce réseau de fibres.
Ce cartographe du cerveau souhaite explorer plus avant « les bases neuronales de la mentalisation, des interactions entre les différents niveaux de conscience, de la cognition sociale ». Outre l’accès au processus de la création, cette recherche permettrait de comprendre « comment déverrouiller d’un point de vue cognitif les blocages développés par la peur, l’inhibition, qui empêchent les individus d’utiliser naturellement le pouvoir d’invention ». Vertigineux.
« L’Erreur de Broca. Exploration d’un cerveau éveillé », de Hugues Duffau (Michel Lafon, 278 p., 17,95 €).
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