lundi 25 janvier 2016

Essais cliniques, le contre-coup

LE MONDE SCIENCE ET TECHNOPar Pascale Santi
La mort d’un volontaire sain, le 17 janvier, lors d’un essai clinique, à Rennes, qui s’est également soldé par l’hospitalisation de cinq autres personnes, dont quatre souffrant de troubles neurologiques – depuis, leur état de santé s’est amélioré –, risque-t-elle de freiner la recherche clinique ?
Séverin millet
Tous participaient à un essai clinique de phase 1 (visant à évaluer la tolérance, le métabolisme dans l’organisme, et à vérifier l’absence de toxicité) mené par le laboratoire Biotrial, un prestataire de services, pour le compte de Bial, un laboratoire familial portugais. Cet essai, qui avait débuté en juillet 2015, un mois après avoir reçu le feu vert de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), portait sur une molécule antalgique connue sous le nom de BIA 10-2474, un inhibiteur des FAAH (pour fatty acid amide hydrolase ; hydrolase des amides d’acides gras).

Quatre-vingt-dix personnes avaient jusqu’à cet accident reçu la molécule sans encombre, selon Bial. Le protocole prévoyait que la substance soit testée sur 128 personnes. La phase 1, qui intervient après des recherches en laboratoire sur des animaux, est la première étape du processus conduisant à la commercialisation d’un médicament. Suit la phase 2, visant à estimer l’efficacité du produit, sa tolérance à court terme et à déterminer la dose la plus adaptée. Puis la phase 3, qui consiste à comparer l’efficacité à un traitement existant ou à un placebo, en double aveugle. A l’issue de ces trois étapes – dont les distinctions tendent à s’estomper –, les autorités sanitaires peuvent délivrer une autorisation de mise sur le marché (AMM).
Caractère exceptionnel
Si le caractère exceptionnel de ce drame est mis en avant, cet accident soulève de nombreuses questions. Des questions renforcées à la ­lecture du protocole de la société Biotrial ­détaillant les phases du processus. Révélé par Le Figaro, vendredi 22 janvier, ce protocole complexe de 96 pages (que l’ANSM a mis en ligne sur son site) laisse des zones d’ombre pour de nombreux experts, cités dans Nature et dans le British Medical Journal (BMJ). Ce dernier a également relayé l’appel de « spécialistes britanniques » qui jugent nécessaire un complément d’informations et plus de transparence sur l’essai de Rennes. D’autres experts estiment en revanche ne pas voir d’irrégularités à la lecture de ce protocole. Les diverses enquêtes en cours, menées par l’inspection générale des affaires ­sociales (IGAS), l’ANSM et le pôle de santé publique du parquet de Paris, devront déterminer si celui-ci était conforme, et s’il a été bien appliqué.
L’essai incriminé à Rennes est dit « de première administration à l’homme » avec escalade de dose. Ce qui ne représente qu’une petite part des essais de phase 1. En 2014, sur les 821 essais cliniques autorisés par l’ANSM, 162 étaient en phase 1. La question cruciale est de déterminer de quelle façon « on passe d’une dose unique à une dose répétée par petits groupes de patients », explique le professeur Christian Funck-Brentano, responsable du centre d’investigation clinique (CIC) Paris-Est (AP-HP, Inserm), professeur de pharmacologie médicale à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
La réglementation ne dit rien de précis sur l’intervalle de temps à respecter pour la distribution des molécules aux patients, ou la stratégie sur le choix de la dose répétée à administrer. A la suite d’un accident survenu à Londres, en 2006, lors de l’administration du TGN 1412, un anticorps monoclonal qui avait eu des conséquences terribles sur six volontaires sains, la réglementation avait changé, imposant d’espacer la prise de la première dose unique par les premiers participants.
Les leçons de l’accident de Londres
Pour l’épidémiologiste Catherine Hill, ancien membre du conseil scientifique de l’ANSM, « les leçons de l’accident de Londres en 2006 ne semblent pas avoir été tirées ; pourtant, l’agence européenne du médicament (Ema) recommandait dès 2007 d’inclure les sujets un par un à chaque palier d’augmentation de dose. Ceci n’a pas été fait dans l’essai de Rennes, sauf au premier palier de la première étude. L’accident s’est produit pendant la deuxième étude, dans laquelle les sujets ont été traités simultanément à chaque palier de dose. Ces points ne semblent pas avoir été identifiés par les autorités, ni par les spécialistes au moment de l’évaluation du protocole ».
Après l’accident de Rennes, la réglementation pourrait évoluer, et faire appliquer pour les premières doses répétées le même principe que ­celui adopté pour les premières doses uniques : espacer dans le temps les sujets exposés.
En attendant, des participants s’inquiètent et veulent être rassurés. « Les risques d’amalgames existent. Cela peut refroidir des patients en phase 2 ou 3 », relève Christophe Demonfaucon, représentant des usagers au sein du Comité de protection des personnes. « Il y a une grande différence entre les volontaires sains et les personnes touchées par des pathologies, signale le professeur Vincent Renard, président du collège des généralistes enseignants. Si j’avais un message à faire passer, ce serait de ne pas se détourner des essais cliniques en phases 3 et 4. » La phase 4 étant une étude observationnelle visant à préciser la connaissance du produit.
La motivation principale des participants
L’indemnisation prévue par la loi pour participer à une recherche biomédicale – son montant est plafonné à 4 500 euros par an – est clairement la motivation principale des volontaires sains. Beaucoup d’étudiants y voient en effet une façon d’arrondir leurs fins de mois. « La perception est différente pour les personnes malades, pour lesquelles c’est parfois le seul moyen d’accéder à un traitement innovant », souligne Eric Balez, président de l’Association François-Aupetit, qui organise avec l’association Tous chercheurs (financée par des fonds publics), basée sur le campus scientifique de Luminy, à Marseille, des formations visant à aider les représentants des associations de patients à y voir plus clair sur les essais cliniques. « Les essais restent incontournables si on veut développer de nouveaux médicaments », estime-t-on à l’Afcros-Les entreprises de la recherche clinique, qui estime que l’attractivité de la France dans la recherche est menacée.
Des pistes de réflexion existent. Ainsi de la modélisation informatique, afin d’anticiper le mode d’action d’une molécule et d’améliorer les modèles précliniques sur les animaux ou sur les tissus humains. « Nous sommes gênés aujourd’hui par la faible valeur des tests expérimentaux. Il faut donc travailler sur les biomarqueurs (fluides, sang, ­liquide céphalo-rachidien…) et l’imagerie, pour mieux cerner les modifications. », explique le professeur Olivier Blin, chef de service de pharmacologie au sein du CIC du CHU de Marseille La Timone, et spécialiste des maladies neurodégénératives et du vieillissement. « Il faut peut-être aussi mieux ­sélectionner et catégoriser les patients pour créer des groupes homogènes. Travailler sur ces différentes pistes pourrait permettre d’anticiper certains effets secondaires et le niveau d’efficacité », poursuit-il.
« On espère qu’il n’y aura pas moins d’attrait pour la recherche. L’accès aux traitements pour la population est un enjeu », insiste Thomas Borel, directeur scientifique du LEEM-Les entreprises du médicament. La crise de confiance du public envers la recherche est également alimentée par l’opacité de l’industrie pharmaceutique. « Quand les essais cliniques ne donnent pas les résultats escomptés, les données sont cachées », dénonce ainsi le médecin britannique Ben Goldcare dans son livre Bad Pharma (Fourth Estate, 2012, non traduit). Une étude, publiée en juin 2015 dans le BMJ, menée par l’équipe de Jonathan Kimmelman, professeur d’éthique biomédicale à l’université McGill (Montréal), montre que le taux de publication des résultats est trois fois plus élevé pour les médicaments approuvés que pour ceux n’ayant pas réussi à franchir ce cap. « Cela reste un fait divers dramatique, mais il va peut-être obliger les acteurs de la recherche à communiquer davantage. Les associations de patients ne cessent de demander plus d’informations », explique Marc Paris, responsable de la communication du Collectif interassociatif sur la santé.
Le professeur Funck-Brentano, pour qui « le risque zéro n’existe pas », fait un parallèle avec les accidents d’avion : « Un avion s’est écrasé, c’est une catastrophe. On n’arrête pas le trafic aérien pour autant, mais on fait une enquête poussée dont on tire les enseignements pour éventuellement ­modifier les pratiques ou la réglementation. »

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