jeudi 14 janvier 2016

Désistance* : Santé et justice croisent leurs compétences

16/01/2016

L’incarcération des petits délinquants n’apparaît pas toujours une réponse satisfaisante pour restreindre la récidive. Chez les personnes souffrant de toxicomanie, l’enfermement pourrait même retarder la possibilité d’un sevrage. Aussi, dans de nombreux pays occidentaux, s’est engagée une réflexion sur les alternatives à la prison face à certains profils particuliers de délinquant, notamment ceux qui présentent des addictions. Ainsi, au Canada sont nés dans les années 90 des « tribunaux de traitement de la toxicomanie », dont l’objectif est d’éviter l’incarcération aux délinquants non violents souffrant d’une addiction et de les intégrer dans des programmes de sevrage (sous la surveillance des instances judiciaires). Ce type de dispositif qui suppose une collaboration inédite entre les autorités médicales et judiciaires est aujourd’hui expérimenté en France, dans un climat où beaucoup réclament pourtant un durcissement des sanctions pénales. Premiers partenaires de cette initiative, les responsables de la Fédération Addiction nous en présentent les principes.

Par Jean-Pierre Couteron et Nathalie Latour* *
En écho avec les travaux de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, la réforme pénale de la garde des Sceaux Christiane Taubira prévoit une nouvelle peine alternative à l’incarcération.
Terrain de plusieurs expérimentations, dont l’appel d’urgence pour les femmes victimes de violences, la juridiction de Bobigny a débuté l’implantation d’un nouveau programme de prévention de la récidive. Destiné aux délits commis sous l’influence de consommations de substances psychoactives (alcool et produits illicites), à l’exception de profils psychiatriques lourds ou de délits avec violence, ce nouveau dispositif s’inscrit dans la continuité des recommandations émises lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive.
Le lancement officiel de l’expérimentation a débuté en juin, par l’organisation d’une rencontre publique avec les parties prenantes du projet, le ministère de la justice, la Mildeca, la Fédération Addiction, l’Association Aurore, l’ARS, la mission métropolitaine, des experts canadiens…

Changement de paradigme

Après une inclusion dans le programme, qui demande une évaluation approfondie de la situation du prévenu et qui requiert également l’adhésion de la personne, une période de probation permettra au bénéficiaire de s’engager dans un programme individualisé de suivi combinant des activités thérapeutiques, sportives, culturelles et d’insertion. A l’issue de cette période, une peine sera prononcée, motivée par le respect ou non du protocole défini avec les coordinateurs justice et les acteurs médico-sociaux.
Il s’agit d’un changement de paradigme dans l’univers judiciaire puisque ce programme implique la prise en compte des conduites addictives dans les parcours judiciaires et donc un travail conjoint santé/justice, de l’inclusion dans le dispositif,  au suivi, jusqu’à la réinsertion des personnes. Les compétences des autorités judiciaires et des professionnels du médico social doivent donc se concevoir en complémentarité et dans leur capacité à définir des espaces communs et différenciés. Ils veillent conjointement au suivi judiciaire du "contrat"  dont l’objectif majeur est de lutter contre la récidive et permettre que les personnes impliquées en travaillant sur leurs conduites addictives, leurs parcours d’insertion, retrouvent un équilibre dans leur parcours de vie et ne commettent plus de délits.

Vers des interventions plus précoces ?

Les premières intégrations dans le programme font ressortir un profil principalement masculin, avec une moyenne d’âge de 45 ans, des problèmes d’alcool et un parcours marqué par une succession de courtes peines. Une évaluation scientifique d’implantation est associée à cette expérimentation pour permettre d’analyser les différentes étapes, de travailler sur les complémentarités et les rôles des uns et des autres ainsi que les adaptations nécessaires. L’évaluation d’impact trouvera tout son intérêt dans un second temps.
Il est intéressant de noter que si ce dispositif fonctionne sur des personnes déjà très engagées dans des parcours chaotiques et multi récidivistes,  une intervention précoce pourrait démontrer encore plus d’efficience et d’efficacité quant à la mise en place de ce type de programme basé sur des approches intégrées.
* La désistance  désigne l'arrêt d'un parcours de délinquance (NDLR)
*Président et Déléguée générale de la Fédération Addictio

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