mardi 15 décembre 2015

Suicide mimétique : Papageno peut-il contrer Werther ?

 14/12/2015

Dans un article récent (Après le suicide de la star, l’effet Werther), nous avons évoqué l’effet Werther où le suicide d’une célébrité peut entraîner, dans son sillage, celui d’anonymes par mimétisme de ce comportement fatal. Analogue au triste sort des moutons de Panurge, un tel effet en « copycat » existe aussi quand certains calquent leur propre comportement sur celui de leurs pairs, la «contagion » suicidaire venant alors de l’imitation d’un proche, et non d’une célébrité. Heureusement, l’effet inverse (la prévention du suicide par l’intervention des relations) peut toutefois nuancer ce danger de « propagation » en chaîne des conduites suicidaires.

En référence à l’opéra de Mozart La flûte enchantée où Papageno, un amoureux contrarié, pense au suicide (car il redoute de perdre sa bien-aimée Papagena) et où ses amis interviennent pour l’empêcher de se suicider, on a décrit sous le nom d’« effet Papageno »[1] l’influence protectrice de l’environnement (amical, familial, thérapeutique, religieux, etc.) pour induire d’autres comportements que le suicide.
On peut alors s’interroger : dans la mesure où les pairs peuvent susciter ainsi deux attitudes opposées, l’imitation à la Werther ou la résilience conviviale à la Papageno, quelle est la résultante concrète de ces effets antagonistes ? Portant sur 4 834 adolescents, une étude réalisée aux Universités du Manitoba et d’Ottawa (Canada) évalue les modifications du risque de suicide dans une population éprouvée par le suicide d’un proche. Les auteurs constatent que les sujets marqués par cette épreuve sont exposés à un risque de suicide près de deux fois plus important pour eux-mêmes, à court terme (Odds Ratio = 1,93 ; intervalle de confiance à 95 %, IC : 1,23–3,04) comme un an plus tard  (Odds Ratio = 1,70 ; IC 1,12–2,60).
Malgré certaines limitations (suivi réduit à deux années, données parfois incomplètes, biais possibles), cette étude semble confirmer une augmentation du risque de suicide lié à un effet de type « Werther », d’autant plus que cet accroissement « ne se limite pas aux sujets présentant des facteurs de risque préalables. » Des recherches ultérieures devraient déterminer dans quelle mesure une influence contraire (de type « Papageno ») pourrait atténuer cette élévation du risque liée au suicide d’un proche.
[1] Niederkrotenthaler T et coll. : Role of media reports in completed and prevented suicide: Werther v. Papageno effects. Br J Psychiatry, 2010; 197: 234–43.
Dr Alain Cohen
RÉFÉRENCE
Randall JR et coll. : Contagion from peer suicidal behavior in a representative sample of American adolescents. J Affect Disorders, 186(2015): 219–225.

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