samedi 5 décembre 2015

Psychiatrie Les initiatives nationales pour lever les tabous de la contention et de l'isolement se précisent


À l'occasion d'une journée psychiatrie et justice, les intervenants ont témoigné d'une volonté d'apporter plus de transparence aux pratiques de contention et de mise à l'isolement en psychiatrie, à l'échelle nationale. La Conférence des présidents de CME de CHS a appelé les médecins à se saisir de ces questions dans chaque établissement.

La 8e journée d'étude psychiatrie et justice organisée par l'établissement public de santé mentale (EPSM) de l'agglomération lilloise était consacrée cette année à une thématique qui a fait salle comble le 1er décembre : le respect des droits fondamentaux et la privation de liberté. Étaient notamment placées au centre et/ou au détour des interventions les problématiques liées au recours à l'isolement et à la contention. Des sujets sensibles de plus en plus mis au jour dans le débat public ces derniers mois (lire notre analyse ci-contre). Comme l'a notamment souligné Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), le placement en chambre d'isolement et la mise sous contention sont à l'évidence les mesures les plus restrictives de liberté et les plus susceptibles d'atteinte à la dignité. D'autant qu'il n'existe aucun recours contre ces décisions. Pour le CGLPL, le recours à ces mesures doit donc répondre à des critères très précis et être strictement encadré, ce qui n'est pas toujours le cas. Selon Adeline Hazan, il est même "absolument inadmissible" qu'à ce jour, certaines de ces pratiques ne soient même pas systématiquement référencées dans de nombreux établissements. Pour le président de la Conférence des présidents de commission médicale d'établissement (CME) de CH spécialisés (CHS), le Dr Christian Müller, ces sujets ne doivent pas être évités : ils doivent être abordés "sans tabous" et sans dogmatisme.

Un observatoire national des pratiques en préparation

"Si isolement ou contention il doit y avoir, que ce soit dans une seule intention, celle de soigner", a indiqué le président de la conférence, ajoutant que ces pratiques devaient être évitées quand elles pouvaient l'être. "Il n'y a absolument pas de place ici pour l'arbitraire", a souligné le Dr Müller. "C'est vrai qu'une loi serait nécessaire, au-delà des soins sans consentement, pour préserver toute atteinte aux droits fondamentaux dans les établissements de santé, je dis bien tous les établissements", a-t-il insisté. Il a évoqué le statut des unités pour malades difficiles (UMD), dont il "est peut être regrettable de ne pas confirmer la base légale" ou encore le fonctionnement des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), avec des difficultés parfois pour les faire "fonctionner comme des véritables unités de soin". Christian Müller a évoqué une rencontre avec le Premier ministre, Manuel Valls, le 2 novembre au côté de la FHF, où ce dernier a assuré souhaiter faire de la psychiatrie une priorité nationale. "La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a annoncé à cette occasion la mise en place d'un comité de pilotage psychiatrie et santé mentale", a-t-il poursuivi. Il a annoncé que la conférence souhaite que la contention et l'isolement fassent l'objet de cette même préoccupation et que soit installé un observatoire national de ces pratiques, tel qu'évoqué en août 2014 lors d'une 1re rencontre avec Adeline Hazan. "Cet observatoire réunirait les acteurs concernés, professionnels, patients, familles, et aurait pour mission de fournir au citoyen plus de transparence et des données objectives en la matière, tant qualitatives que quantitatives", a expliqué Christian Müller. Des données alimentées par les registres sur ces pratiques prévues dans la loi de Santé. Ces travaux ont été évoqués dans le cadre de la coordination nationale des dispositifs régionaux de recherche en psychiatrie, et des fédérations y travaillent déjà, notamment en région parisienne, Nord-Pas-de-Calais et Midi-Pyrénées, a-t-il expliqué. Il s'agit de "fournir aux établissements des travaux pertinents afin d'harmoniser des pratiques qui ne le sont absolument pas aujourd'hui".

Les CME doivent s'approprier ces questions dans chaque hôpital

Les principes conditionnant l'atteinte aux droits fondamentaux ne peuvent souffrir des fortes disparités qui existent aujourd'hui d'un établissement à l'autre, d'un service à l'autre, voire d'un médecin à l'autre, ont souligné au cours de la même matinée Christian Müller et Adeline Hazan. Ils ont rappelé que la Haute Autorité de santé (HAS) travaille actuellement sur le sujet, permettant à l'avenir la formulation de bonnes pratiques. "Nous souhaitons aussi que les règlements intérieurs des établissements s'en inspirent et notamment que les CME, qui ont compétence sur la qualité et de la sécurité des soins, s'approprient ces questions", a indiqué le Dr Müller. Il a souhaité qu'un "rapport chaque année soit nécessairement établi et discuté en commission sur le bilan des atteintes aux libertés" et annoncé que la conférence proposerait en 2016 des éléments d'orientations pour les CME, qu'elle échangera avec un certain nombre de partenaires, notamment le CGLPL. Par ailleurs, le député Denys Robiliard (SRC, Loir-et-Cher), avocat de profession et auteur d'un rapport sur l'avenir de la psychiatrie, est revenu sur le futur registre qui devra être tenu par les professionnels, selon un amendement introduit au projet de loi de Santé. "Un député est un citoyen à temps plein, avec en vue, l'intérêt général, il ne saurait définir les bonnes pratiques médicales", a souligné le député. "Mais il peut conclure que si ces pratiques restent exceptionnelles dans certains services, la loi doit pouvoir les qualifier de dernier recours", a-t-il poursuivi. Un parlementaire ne légifère pas pour autant sans hésitation, a confié Denys Robiliard car "légaliser c'est effectivement légitimer". "Mais, même si c'est souvent mezza voce, les psychiatres, psychologues ou infirmiers sont généralement d'avis que le recours à l'isolement et à la contention se développe", a souligné l'élu. Les causes sont discutées : insuffisance de moyens humains, perte de culture professionnelle en raison de la suppression de la formation d'infirmiers psychiatriques et de l'évolution de la psychiatrie sont évoquées. Mais de conclure : "Si la réflexion doit être poursuivie, ne pas légiférer, pour ne pas légitimer serait jouer les Ponce Pilate.
Caroline Cordier 
*En marge du congrès, le président de la conférence a indiqué à la presse que des échanges étaient en cours avec le ministère sur ce projet d'observatoire, projet qui aurait reçu l'aval de la ministre.

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