jeudi 3 décembre 2015

Neurobiologie : un si précieux silence…

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | Par Angela Sirigu (neuroscientifique, directrice de recherche Centre de neurosciences cognitives - CNRS-université Lyon-I)

Toulouse, place du Capitole, le 16 novembre. Un rassemblement pour la minute de silence nationale en hommage aux victimes des attentats de Paris.
Toulouse, place du Capitole, le 16 novembre. Un rassemblement pour la minute de silence nationale en hommage aux victimes des attentats de Paris. GUILLAUME RIVIERE POUR «LE MONDE»

Jamais le silence n’a été un vecteur d’unité sociale aussi important que depuis les massacres du vendredi 13 novembre, à Paris et à Saint-Denis. Etre tous ensemble et cesser de parler ou de bouger durant une seule minute a été un formidable message de respect pour les victimes et d’empathie avec leur famille. Ainsi, bien que cela puisse paraître paradoxal, l’absence de parole devient, dans certaines circonstances, le meilleur moyen de communiquer. Le silence en tant que ­cessation d’activités est un ­signal social utilisé par de nombreuses espèces, dans des buts bien différents.

Un « indice public »

Par exemple, on a longtemps cru que, pour éviter les obstacles et détecter leurs proies, les chauves-souris utilisaient uniquement l’écho de leurs vocalisations, à la manière d’un sonar. L’émission de ces ­vocalisations alterne en réalité de manière périodique avec du silence. Ce silence intermittent constitue une stratégie de coordination, car sa fréquence et sa durée augmentent avec le nombre d’individus ­présents dans ­un même lieu. Les pauses silencieuses permettent au ­chiroptère de s’orienter grâce aux ­vocalisations de ses voisins et évitent de « brouiller » les autres sonars.

Dans un contexte différent, Marta Moita, à la Fondation Champalimaud de Lisbonne, étudie les mécanismes neurobiologiques de la peur et la manière dont celle-ci se propage. Elle a conditionné un rat à associer un son à un choc électrique. Après apprentissage, chaque fois qu’il entend le son, le rat cesse toute activité motrice. Un autre rat, placé juste à côté en tant que simple observateur et non conditionné, s’immobilise également mais uniquement lorsqu’il entend le silence. C’est bien ce silence, et non la vision de l’immobilité, qui importe, car la réaction de l’observateur a lieu même dans l’obscurité et disparaît lorsqu’on lui fait écouter la bande sonore des mouvements du congénère, signifiant sans doute la fin du danger. Le silence constituerait ici ce que Moita appelle un « indice public ou générique » de transmission sociale du danger.
Le silence peut également s’utiliser de manière délibérée. Le singe vert d’Afrique, connu pour ses vocalisations abondantes et variées, utilise un vocabulaire de cris spéciaux pour alerter de la présence de prédateurs terrestres ou aériens. Importés aux ­Antilles où le péril vient non pas des panthères ni des aigles mais principalement de l’homme, ces singes ont développé une adaptation spécifique et communiquent par le silence, évitant ainsi d’être trop ­facilement repérés.

Un principe organisateur archaïque

Même au cœur du cerveau, le silence semble être important pour ordonner les signaux nerveux et ­calmer la « rumeur synaptique ». Le groupe de Jaime de la Rocha, de l’Institut de recherche biomédicale de Barcelone, a récemment montré que les corrélations entre groupes de neurones au sein des aires auditives ne s’expliquent pas tant par la synchronie de leur activité que par celle de leur silence. Des simulations mathématiques montrent que cette propriété pourrait jouer un rôle important dans l’encodage et la transmission des informations dans le cortex cérébral.
Ces considérations peuvent paraître assez éloignées des manifestations de recueillement après les attentats et de leur forte portée affective et philosophique, mais elles soulignent néanmoins que le silence est un principe organisateur archaïque, ancré au plus profond de nous, puissant et indispensable.

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