jeudi 17 décembre 2015

Et si la France était aussi championne... des inégalités de santé !

18.12.2015





Le système de soins à la française soigne bien, rembourse pas trop mal, mais les disparités d'état de santé et d'espérance de vie y sont incontestablement plus fortes qu'ailleurs. Le phénomène est multifactoriel, puisqu'il se décline selon la classe sociale, mais aussi selon l'endroit où l'on habite et même selon le sexe… Et le plus préoccupant, c'est qu'année après année, cela ne semble guère s'arranger.
Cocorico ? Au cours des dernières décennies, la France a vu l’état de santé global de sa population s’améliorer si l’on considère, par exemple, l’amélioration de l’espérance de vie ou la baisse de la mortalité infantile. Mais les mauvaises langues font remarquer que ces bons points n’ont pas profité à tout le monde de la même façon ; les inégalités de santé dans certains domaines progressent, si l'on en croit les analystes du secteur. Évidemment, certaines semblent difficilement évitables. Chacun étant, par exemple, bien obligé de faire avec ses gènes ou son âge. Mais c'est quand elles sont dites « sociales », que le phénomène devient problème et prend la forme
d'« inéquités » auxquelles on devrait pouvoir remédier.

Le constat vaut, hélas, en matière de mortalité, d'espérance de vie ou de morbidité. Même si le phénomène n'est pas si simple à mettre en équation. Pour tenter d'y voir plus clair, la Cnamts organisait mardi dernier sa Journée scientifique sur les inégalités sociales de santé. Comme l’explique l'économiste Florence Jusot, professeure à Paris-Dauphine qui intervenait à cette occasion, « on n’est pas dans une opposition entre les pauvres et les autres. C’est un phénomène qui traverse la société, qui est graduel ». En effet, les inégalités sociales de santé se retrouvent dans toute la hiérarchie sociale, selon une déclinaison qu’on appelle le « gradient social ».
En d’autres termes, chaque groupe social à un risque de mauvaise santé plus important que le groupe social qui le précède dans la hiérarchie sociale et inversement, « chaque supplément de revenu, de niveau d’éducation étant associé à une amélioration de l’état de santé » explique Florence Jusot.

Les facteurs sociaux, principaux vecteurs des inégalités

Les inégalités toucheraient donc un peu tout le monde, ce qui rend les solutions difficiles à trouver. D'autant que bien des facteurs y concourent. Quoi de commun pour l'accès aux soins, par exemple, entre une personne isolée et une autre qui pourra compter sur un réseau social important ? Les choix de vie personnelle ou comportements à risque (tabac, alcool, alimentation) rentrent, bien
entendu aussi, en ligne de compte.

Pourtant, Marie-José Moquet (INPES) notait en 2011 : « Les comportements individuels ne sont pas le facteur qui prédomine pour expliquer les inégalités constatées ; des chercheurs britanniques ont montré qu’au mieux le mode de vie expliquerait un tiers des écarts constatés ». « Le comportement à risque est très mineur à côté du poids des conditions de vie. C’est une spécificité française, le social étant chez nous très lié à la santé », note aussi le Pr Jusot.

Gwenn MENVIELLE

Alors où chercher les causes des inégalités sociales de santé ? Un peu partout, du côté des conditions socio-économiques, culturelles et environnementales de vie. Et c'est évidemment ce qui fait de leur appréhension un vrai casse-tête. Car les conditions de travail, mais aussi le logement, le niveau d’éducation, les revenus, l’alimentation sont à prendre en considération. « La pauvreté tue », affirme tout de go Florence Jusot. Sachant que tous ces critères sont évidemment très imbriqués : le niveau d’éducation va influer sur la profession qui elle-même conditionnera le revenu qui sera déterminant sur le lieu de vie et l’alimentation…

Double peine et cercle vicieux

Au final, l'Hexagone, bon sur le curatif et moyen sur la prévention, affiche un tableau de bord des inégalités de santé peu à son avantage. Le constat est bien connu. À 35 ans, un homme ouvrier peut encore espérer vivre 39 ans contre 46 ans pour un cadre.
D’après l’étude de Christian Monteil et Isabelle Robert-Bobée pour l’Insee, cette différence est encore plus flagrante avec les inactifs qui, eux, ont 28,5 ans d’espérance de vie à cet âge. Ce que l'on sait moins, c’est que ces écarts se sont creusés au fil des ans. Entre 1976 et 1984, l’écart entre cadre et ouvrier était de 6 ans contre 7 ans en 2005. Entre inactifs et cadres, le fossé se creuse encore davantage, de 14 ans déjà entre 1976 et 1984, il est monté à 17,5 ans en 2005. Dans l'intervalle, on a pourtant inventé la CMU, l’Aide à la complémentaire santé et le parcours de soins !
« Mieux vaut être riche et bien portant que pauvre et malade »… Francis Blanche avait d'ailleurs probablement raison si l'on en croit l’étude d’Emmanuelle Cambois, Caroline Laborde et Jean-Marie Robine en 2008 pour l’Ined. Selon ces trois spécialistes, les ouvriers vivent non seulement moins longtemps, mais sont aussi plus malades pendant ces années de vie trop courte. Un ouvrier de 35 ans va vivre en moyenne 60 % de son espérance de vie totale sans incapacité contre 73 % pour un cadre.
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Une zone majoritairement en surmortalité s’étend de la Bretagne au Nord-Pas-de-Calais et à l’Alsaceimage
Gwenn MENVIELLE
Docteur en santé publique, Paris-Sud

Pour ne rien arranger, le mal français est aussi géographique. Gwenn Menvielle l'a mis en évidence il y a quelques années, évoquant « une zone majoritairement en surmortalité qui s’étend de la Bretagne au Nord-Pas-de-Calais et à l’Alsace, à l’exception de l’Ille-et-Vilaine et du sud de la Basse-Normandie ». Selon les conclusions de cette spécialiste de santé publique, la surmortalité est donc particulièrement marquée dans le centre de la Bretagne, le Nord-Pas-de-Calais et le nord de la Picardie.
Plus génant encore, parce qu'a priori moins explicable, de tout récents travaux ont mis également en évidence des disparités de genre. Plus susceptibles que les hommes d'être victimes des pathologies chroniques, les femmes seraient curieusement moins souvent incluses dans les essais thérapeutiques. Et pour ne citer que l'infarctus, on sait que le pronostic est moins bon dans le public féminin et l'accès aux traitements moins évident…

Mortalité accrue, morbidité plus importante chez les plus mal lotis de la société… Les experts constatent de surcroît qu'être malade rend pauvre. Double peine en quelque sorte… « Deux ans après un cancer, 25 % des malades se retrouvent sous le seuil de pauvreté, explique le Pr Jusot. Il y a un double effet : ils sont sous le seuil de pauvreté parce que les “pauvres” ont plus de cancers, mais aussi parce que la maladie les a rendus pauvres. » Et les malades ont aussi plus de risques de se retrouver au chômage ou de ne pas trouver un emploi. La maladie renforcera aussi l’isolement, social et financier. Ainsi, une femme sur cinq se sépare de son conjoint à la suite d’un cancer du sein.
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Deux ans après un cancer, 25% des malades se retrouvent sous le seuil de pauvretéimage
Florence JUSOT
Professeure d’économie à Paris-Dauphine


Dans le recours aux soins, le bât blesse aussi...

Difficile donc pour un responsable politique, comme pour un soignant d'ignorer le problème. Mais pas si simple d'y remédier… En France, il semblerait que ce soit dans le recours aux soins que le bât blesse. François Hollande n'en a-t-il pas fait l'un de ses engagements phares en promettant que chaque Français serait bientôt à moins de 30 minutes des urgences ?
Mais ce n'est pas le seul frein avant prise en charge. Dans une étude de l’Irdes de 2010 on apprend que le taux de renoncement aux soins pour des raisons financières se situe entre 20 et 25 % pour les deux premiers quintiles de revenus et à moins de 10 % pour le cinquième. Si l’accès aux généralistes n’est pas vraiment inégalitaire, c’est du côté de l’accès aux spécialistes que les inégalités se font le plus sentir. En 2010, une étude de l’IReSP (Institut de Recherche en Santé Publique) montrait que l’odds-ratios, ou ici rapport de probabilité de recourir à un spécialiste d’après son revenu, était de 1 pour le premier quartile contre plus de 2 pour le quatrième.
Même constat concernant le versant préventif. Pour la mammographie par exemple, l’odds-ratio est de 1 pour le premier quartile et de 2,4 pour le quatrième. Et que dire des disparités d'attente avant l'IRM, un examen dont les indications ne cessent pourtant de s'élargir : de 20 jours en région parisienne à 57 en Bretagne, en 2015, selon les industriels de l'association Imagerie santé Avenir (ISA)…
On se rassurera en se disant que le problème est universel. Et que les inégalités sociales de santé existent peu ou prou partout en Europe. Mais force est de constater que la France fait figure de mauvais élève dans ce domaine sur le Vieux continent. La France est le pays d'Europe, hormis les ex-pays de l'Est, où les différences de risque de décès avant 65 ans entre métiers manuels et non manuels sont les plus élevées, par exemple. Sur les recours aux spécialistes, l’odds-ratio moyen en Europe était de 1 pour le premier quartile  et de 1,5 pour le quatrième ; pour la mammographie ils étaient de 1 et 1,7. À chaque fois, les inégalités françaises sont donc plus marquées. 

Une question de système notamment

Pour expliquer ce décalage, les règles du jeu en vigueur dans le système français sont parfois mises en cause. À commencer par la couverture maladie. « Les renoncements aux soins sont quand même liés à la particularité du système français avec un reste à charge des patients qui peut être important », affirme ainsi Florence Jusot. La France à une part des soins remboursés par la Sécurité sociale autour de 75 % alors qu’en Grande-Bretagne, il est de 84 %. « En Grande-Bretagne, en Espagne ou en Italie, il y a un certain nombre de soins de premier recours totalement gratuits et d’autres pas du tout pris en charge. En Belgique, où il y a un ticket modérateur, il existe un bouclier sanitaire », analyse Florence Jusot.
Au total, la situation de l'Hexagone peut apparaître paradoxale, puisque comme l'explique la professeure de Paris-Dauphine  « plus les pays ont des restes à charge élevés, plus les pays ont des inégalités d’accès aux soins, et plus les dépenses publiques sont importantes, plus les systèmes sont égalitaires ».
Florence JUSOT

Des enseignements qui mettent en cause le modèle français. Et pas seulement du point de vue du financeur. Certains experts vont jusqu'à pointer du doigt une responsabilité du paiement à l'acte. La place des soins primaires dans le système de santé joue aussi un rôle important. « Dans les pays où il y a un gatekeeping strict, c’est-à-dire où il n’est pas possible d’aller voir un spécialiste sans aller chez le généraliste, les inégalités sont moins grandes », estime Florence Jusot. Un lien plus fort entre les différents acteurs du soin fait donc du bien pour plus d’équité, un lien qui est bénéfique, pas seulement quand il passe par le parcours de soins mais aussi simplement par plus de communication. « Un généraliste peut assumer qu’une femme est suivie par un gynécologue et oublier de faire le préventif ou de demander si elle est suivie par ailleurs. Si tout le monde se renvoie la balle en se disant, ça doit être fait chez l’autre cela peut-être dramatique ».
Les professionnels de santé se rassureront pourtant en constatant que les plus récentes études dédouanent en partie le système de santé, le phénomène prenant racine dès les premières années de la vie. Selon un travail de la Drees, c'est dès la sortie de la maternelle que l'on constate beaucoup plus de surpoids et de caries dans les milieux populaires. On choisit son médecin, mais ni ses parents, ni sa famille, ni ses maladies...

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