jeudi 31 décembre 2015

Comment gérer des problèmes d'alcool au travail en Ehpad ?

LE PROBLÈME

L'alcoolisme au travail ne doit pas être un sujet tabou en Ehpad, car tout directeur d'établissement peut se trouver confronté à une telle situation. Quelles sont les règles applicables, la gestion des situations individuelles et la démarche de prévention collective à suivre dans ce cas ?

LA SOLUTION

Consécutive à une importante absorption d'alcool, l'ivresse ponctuelle se traduit par des propos incohérents, de l'agitation et des troubles moteurs. Si l'alcoolisation chronique, due à la consommation excessive et régulière d'un salarié, est souvent peu dommageable socialement à ses débuts, elle peut mener à une dépendance affectant ses compétences professionnelles. La baisse de l'efficacité, de l'initiative, de la vigilance, de la mémorisation et de la coordination sont des signes évocateurs. L'altération de la rapidité et de la précision entraîne des erreurs, des malfaçons et des dégâts matériels. Ivresse et alcoolisation chronique sont responsables de troubles du comportement — absences répétées du poste de travail, désinhibition, conduite dangereuse, manque de confiance en soi, fuite des responsabilités, incapacité de prendre des décisions, irritabilité, agressivité et hypersensibilité face aux contretemps.


Les chiffres de la consommation d'alcool en France* :

  • jusqu'à 15% des effectifs (selon le type d'entreprise) sont concernés par l'alcoolisme au travail ;
  • 19% des accidents de travail sont causés par une imprégnation alcoolique ;
  • 15% de la population exprime une dépendance à l'alcool ;
  • le coût des problèmes liés à l'alcool représente 120 milliards d'euros (risques sanitaires, pertes de production, répression).

Que faire en cas d'ébriété manifeste d'un salarié ?

Dans l'urgence, il faut informer l'agent qu'il n'est pas apte à assurer sa tâche, l'écarter immédiatement de son poste de travail et assurer la continuité du service en maison de retraite. Le dialogue va dépendre de son attitude. Si son état ne permet pas la communication ou nécessite une prise en charge médicale, on fera appel au médecin du travail pour avis, au Samu ou aux pompiers. En cas de violence, il est possible de faire intervenir les forces de l'ordre (appeler le 17). Si l'agent reconnaît qu'il n'est pas en état de travailler et accepte de quitter son poste momentanément, cet accord devra être consigné dans un rapport dont des copies lui seront transmises ainsi qu'au médecin du travail. L'agent ne devra pas rentrer chez lui par ses propres moyens et ne devra pas être laissé seul à son domicile. S'il ne reconnaît pas qu'il n'est pas en état de travailler et refuse de quitter son poste, on peut lui proposer un alcootest en présence d'un tiers — prévu dans le règlement intérieur —, avec une objectivation de l'alcoolémie supérieure ou égale à 0,5 gramme par litre de sang. En cas de refus de l'alcootest, des témoignages écrits établiront que l'agent n'est pas en mesure de travailler.

Comment conduire l'entretien avec le salarié ?

Dès la reprise d'activité, il faut prévoir un entretien avec le salarié sobre pour rappeler les faits, organiser une consultation avec le médecin du travail et au besoin proposer une aide en incitant l'agent à entreprendre une démarche de sevrage, en lui fournissant des adresses d'associations mais également en formant des agents référents qui pourront aider leurs collègues en difficulté. L'entretien hiérarchique s'impose aussi en cas d'alcoolisation chronique. Le contexte et l'approche diffèrent sensiblement. Il s'agit de décrire, objectivement et avec mesure, les points remontés à la direction de l'Ehpad. Il faut éviter de confier l'entretien à un encadrant en contact amical avec l'agent, d'occulter les conséquences de son comportement et de compatir à ses agissements. On appliquera le règlement même si l'agent manifeste de bonnes résolutions.
À l'opposé, il faut éviter les reproches et les conseils gratuits. On ne doit pas essayer de convaincre l'agent qu'il est alcoolique, car ce diagnostic est réservé au corps médical mais expliquer simplement, de façon neutre et objective, avoir remarqué un changement dans son comportement et relater les dysfonctionnements observés au niveau professionnel. S'il est possible de montrer que l'on perçoit la souffrance du salarié, il faut lui notifier que cette situation crée des problèmes et que des limites s'imposent. Dans tous les cas, il importe de garder le contrôle de l'entretien, de ne pas se laisser entraîner dans de longues discussions, d'accepter les explications de l'agent puis de les reformuler en le recadrant, d'échanger sur l'objet de l'entretien. Le salarié devra être informé qu'en cas de besoin, il pourra être aidé par le service médical, le service social, une association d'aide ou un organisme extérieur.


Le contrat d'accompagnement

En cas d'alcoolisme au travail, un contrat d'accompagnement avec le salarié, la direction et le médecin du travail peut être mis en place. Celui-ci, établi dans un climat de confiance, intégrera une définition de projet et des objectifs réalisables pour chacun des contractants, la réciprocité des engagements à prendre et la possibilité d'en rediscuter les termes à tout moment. Ces engagements pourront porter, par exemple, sur l'engagement du salarié de l'Ehpad à respecter les horaires d'arrivée ou encore les règles de sécurité. Enfin, un suivi devra être mis en place. Il faudra déterminer la date d'une nouvelle rencontre afin de faire le point sur la situation, en précisant qu'en cas de difficultés, les interlocuteurs restent disponibles pour recevoir le salarié.

Un règlement intérieur ciblé

Exceptionnellement, et lorsque les impératifs de sécurité le justifient, le directeur de la maison de retraite peut insérer dans le règlement intérieur ou par note de service des dispositions interdisant radicalement la consommation de toute boisson alcoolisée. La mise en œuvre peut se révéler délicate, particulièrement dans le secteur de la cuisine, où la tentation de consommer de l'alcool est grande C'est pourquoi il faudra privilégier "l'encadrement" de la consommation d'alcool plus que "l'interdiction formelle", c'est-à-dire rappeler les obligations, le rôle et la responsabilité de chacun, préciser les personnes référentes et les procédures à mettre en œuvre en cas d'ébriété. Un contrôle par alcoltest peut être prévu, celui-ci ne pouvant viser que des personnes manipulant des produits dangereux, conduisant des machines, engins ou véhicules automobiles, ou encore des salariés de l'Ehpad dont l'état d'ébriété constituerait une menace pour eux-mêmes ou leurs collègues. Le règlement intérieur précisera les modalités d'utilisation d'un alcootest : personnes habilitées, situations éligibles, possibilités de demander une contre-expertise, présence d'un tiers, conséquence en fonction du résultat.

Les "pots" pas trop arrosés

La pratique des "pots" de l'amitié est fréquente en Ehpad. Le directeur ne doit pas perdre de vue qu'il a une obligation générale de sécurité. C'est pourquoi on inscrira dans le règlement intérieur des règles telles qu'une autorisation préalable, une durée limitée à une heure, un service de consommation, la désignation de personnes référentes, l'instauration d'une proportionnalité entre les boissons alcoolisées et les boissons non alcoolisées. Plus concrètement, il est indispensable de prévoir une collation en accompagnement et de retirer les bouteilles restantes. À toutes fins utiles, des alcootests peuvent être mis à disposition, et les personnes habilitées à pratiquer ce test déterminées. On veillera avec le délégué du personnel à l'existence d'un covoiturage parmi les salariés.

Les sanctions

La consommation d'alcool sur le lieu de travail ou l'imprégnation alcoolique constituent une faute pouvant justifier une sanction allant de l'avertissement au licenciement en passant par le blâme, la mise à pied et la rétrogradation. Dans tous les cas, la sanction doit être proportionnelle à la gravité des faits, sous peine de voir les juges obliger à payer au salarié des indemnités pouvant aller jusqu'à six mois de salaire pour un licenciement. Le directeur devra démontrer en quoi l'état d'ébriété d'un agent a pu porter atteinte à l'exercice de ses fonctions. Les faits reprochés doivent être déterminés précisément, formalisés, quantifiés et datés. La preuve du manque de sobriété ne saurait résulter d'un témoignage isolé et anonyme non vérifié par un examen médical approprié. Elle ne se présume pas non plus du nombre et de la durée des congés de maladie.
Une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu'à un licenciement pour faute grave peut être mise en œuvre, non pas contre l'état d'ébriété, qui relève de l'état de santé du salarié, mais sur le comportement fautif qui en découle : l'impossibilité d'exécuter normalement et correctement le contrat de travail dans la maison de retraite. La jurisprudence considère que l'état d'ébriété sur le lieu de travail ne constitue pas une faute grave s'il n'y a pas eu de précédent, si le salarié justifie d'une certaine ancienneté permettant d'apprécier la notion de précédent, si la prise d'alcool n'a aucune répercussion sur la qualité du travail ni sur le fonctionnement normal de l'institution. La jurisprudence est également assez stricte avec l'employeur qui a longtemps toléré ce type de comportement de la part du salarié sans l'avoir mis en garde auparavant.

Organiser une démarche de prévention au sein de l'Ehpad

La mise en place d'une politique contre l'alcool au travail peut être encouragée si des accidents se sont produits au sein de l'établissement, si l'alcoolémie perturbe le travail d'un ou de plusieurs salariés et nuit à la qualité des services prodigués par l'Ehpad. On peut alors créer un groupe de prévention contre l'alcool, avec au premier rang le médecin du travail ou le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). 
Les délégués du personnel devront suivre une formation à l'alcoologie dispensée par des formateurs compétents. Ce groupe réalisera un état des lieux à l'Ehpad, et organisera l'information sur l'alcoolisme plus particulièrement auprès des nouveaux salariés. Il va élaborer les protocoles d'intervention ainsi qu'une charte sur la prévention du risque alcool. Ce groupe fera des propositions pour le règlement intérieur de l'Ehpad. Il fixera des indicateurs qui permettront d'évaluer périodiquement son action.
Éric Charles 
* Sources : Institut national de prévention et d'éducation pour la Santé (Inpes), Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Office français de prévention du tabagisme (OFT), Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et Organisation mondiale de la santé (OMS)
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