dimanche 1 novembre 2015

Santé mentale : garder l’esprit pragmatique

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO |  | Par 


La promesse des initiateurs européens du ­Human Brain Project de reproduire in silico [par des moyens informatiques] le fonctionnement d’un cerveau humain pour 2024 porte en soi une seconde promesse, qui est de parvenir à en cerner les dysfonctionnements. Le réveil de l’intelligence ­artificielle s’accompagne par ailleurs d’une génération nouvelle de robots capables de comprendre des ­comportements complexes et de « ressentir » des rudiments d’émotions humaines. Ces progrès permettront-ils de bientôt modéliser les maladies mentales, comme me l’a un jour suggéré un jeune patient souffrant d’anxiété et de phobie sociale : « Ne serait-il pas astucieux de remplir la tête d’un robot avec des souvenirs anxieux comme les miens ? » Pour apprendre à les soigner, bien entendu.







Malgré les avancées dans la compréhension neurobiologie de la dépression ou des troubles obsessionnels compulsifs, l’apaisement mental reste pour de nombreux patients un objectif lointain. Certains médicaments ont des effets bénéfiques et quantifiables, même si les chances de succès sont meilleures quand ils sont associés à une thérapie cognitivo-comportementale. Mais comment évaluer l’efficacité de ces dernières ?


L’exemple de l’EMDR


Prenons le cas de la désensibilisation par les mouvements oculaires et le retraitement de l’information, connu sous le nom d’EMDR (pour « intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires »), qui est utilisée pour soulager les états de stress post-traumatique. Cette technique fait évoquer au patient l’image mentale de l’événement traumatique, en même temps qu’il suit du regard une stimulation visuelle ou tactile alternée. Selon Francine Shapiro, la psychologue de Palo Alto (Californie) qui a développé l’EMDR, cette ­méthode faciliterait le remplacement des souvenirs ­négatifs par des nouvelles pensées à tonalité positive. Plusieurs études attestent les vertus de l’EMDR, mais certains chercheurs, dont ShawnCahill de l’université de Caroline du Sud, remettent en question les effets sélectifs des stimulations alternées qui sont la signature de cette technique, ou sa supériorité thérapeutique par rapport à d’autres approches comportementales comme la relaxation ou la simple écoute.

La question de la nature des effets induits est également posée. Certains travaux cherchent à y répondre et mettent en avant des changements d’activité au sein des aires cérébrales impliquées dans les émotions et la mémoire entre le début et la fin de la thérapie. Ce sont des études difficiles à mener de façon rigoureuse et souvent émaillées de failles méthodologiques. Malgré tout, et même si on accepte le principe d’une préférence pour les thérapies fondées sur des preuves scientifiques, les traitements non pharmacologiques ou ­« alternatifs » ne devraient pas forcément être rejetées en bloc du moment que leur efficacité se révèle comparable voire supérieure à celle d’un placebo.

Un article récemment paru dans la revue Nature rapporte que l’hôpital anglais Princess Alexandra NHS Trust à Epping (Essex) a, dans un esprit pragmatique, ouvert un poste – rémunéré à hauteur de 22 236 livres sterling par an (30 300 euros) – pour un(e) thérapeute pratiquant le reiki, une méthode japonaise fondée sur la transmission de l’« énergie » par les mains, pour aider les patients à affronter les changements spirituels et émotionnels liés à leur maladie. Si ça marche, pourquoi pas ? On attendra 2024 pour les explications.

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