vendredi 27 novembre 2015

Quand épilepsie rime avec psy

Maia Bovard Gouffrant | 27.11.2015  Dépressions, suicides, mais aussi psychoses... Les patients épileptiques présentent un risque accru de comorbidités psychiatriques. Initialement mis sur le compte des anti-épileptiques ou du poids psychologique de la maladie, ce lien pourrait s’expliquer par un dysfonctionnement cérébral commun comme cela a été expliqué lors des Journées françaises de l’épilepsie 2015 (Montpellier).


Après avoir été longtemps associée à la folie, voire à la sorcellerie, dans l’imaginaire collectif, l’épilepsie est désormais considérée par tous comme une pathologie neurologique. Mais, depuis quelques années, ses comorbidités psychiatriques suscitent un intérêt croissant. Avec de plus en plus de données suggérant qu’elles ne seraient pas une simple conséquence de l’épilepsie et de son poids psychologique pour les patients mais peut être plus le témoin d’un fonctionnement cérébral spécifique avec un substratum physiopathologique commun.

Un risque suicidaire augmenté

Cette nouvelle façon de voir les choses remonte à 2009. À l’époque, suite à la publication d’une méta-analyse portant sur 199 essais cliniques, la Food and Drug Administration (FDA) alerte quant à une éventuelle augmentation du risque suicidaire sous anti-épileptiques (AE) avec un risque multiplié par deux sous lamotrigine, par 2,5 sous topiramate et bien plus élevé lorsque ces molécules sont prescrites pour une épilepsie par rapport aux autres indications.
Depuis, le propos a été tempéré et l’attitude de la FDA jugée excessive, explique le Pr Philippe Cortet (Montpellier), « puisqu’en rajoutant trois autres études le risque lié à la lamotrigine disparaît, que les données de ces essais étaient rétrospectives, la suicidalité mal définie, les antécédents et les autres thérapeutiques non prises en compte et, surtout, qu’elle mettait tous les AE dans le même panier.».

Mais cette alerte aura eu le mérite d’amener épileptologues et psychiatres à collaborer pour éclaircir les liens entre l’épilepsie et les pathologies psychiatriques en général.

Désormais, l’association entre épilepsie et processus suicidaire fait consensus. Une étude menée par l’OMS en 2010 montre qu’elle est l’affection somatique la plus souvent associée au risque suicidaire (RS). Un fait confirmé par deux registres suédois et danois. L’épilepsie seule multiplie par deux à trois le risque de suicide, mais l’existence d’une comorbidité psychiatrique pourrait multiplier par vingt le risque. Le RS est majeur dans les 6 premiers mois qui suivent le diagnostic, dans les 72 heures après une crise et 3 mois après chirurgie de l’épilepsie, mais on constate qu’il est déjà nettement plus élevé que dans la population générale avant le diagnostic, ce qui s’inscrit en faux contre un effet majeur des traitements.

Certains facteurs comme le début précoce, la fréquence et la sévérité des crises pourrait augmenter le risque tandis que le retentissement psychosocial lié à l’épilepsie ne semble pas véritablement impliqué. On retrouve des facteurs de vulnérabilité, comme les antécédents de TS personnels ou familiaux, l’impulsivité agressive, le pessimisme, les abus dans l’enfance, la douleur psychologique.

Un dysfonctionnement du système sérotoninergique

Sur le plan physiopathologique, certains auteurs pointent le dysfonctionnement du système sérotoninergique central en particulier au niveau des récepteurs 5HT1A, dont on sait qu'il témoigne d'une vulnérabilité biologique aux conduites suicidaires et qui est retrouvé dans différents types d'épilepsie. De même les anomalies de la prise de décision qui impliquent le cortex orbito-frontal et pourraient être un élément clé dans les conduites suicidaires ont aussi été retrouvées dans certaines épilepsies. Le rôle de l'inflammation a aussi été soulevé.
En revanche, le rôle des AE semble finalement très faible (1 patient sur 500 traités) et pour l'ILAE (International Ligue Against Epilepsy) le RS est dans tous les cas largement inférieur au risque de ne pas traiter les patients épileptiques. Les AE ne doivent donc pas être contre-indiqués, même chez les patients à haut risque suicidaire, qui doivent en revanche être évalués sur le plan psychiatrique et informés de la nécessité de signaler à leur médecin tout risque de changement d'humeur ou d'idéation suicidaire.

Liaisons dangereuses avec la dépression

Avec une prévalence de 25 %, voire de 30 à 50 % en cas d'épilepsie résistante, les troubles dépressifs sont particulièrement fréquents chez les épileptiques. Là aussi, la relation entre les deux pathologies est bidirectionnelle puisqu'un dépressif a trois à sept fois plus de risque de développer une épilepsie. L'âge de début, la fréquence des crises, la résistance au traitement n'ont pas vraiment fait la preuve de leur imputabilité.

« Prendre en charge la dépression associée est un défi majeur vu ses conséquences non seulement sur la qualité de vie globale mais aussi sur le contrôle de l’épilepsie », insiste le Dr Coraline Hingray (Nancy). Pourtant, les troubles dépressifs sont sous-diagnostiqués car le cadre du DSMV n'est pas adapté à l'épilepsie, que les crises peuvent modifier leur expression, qu'ils peuvent être confondus avec les effets secondaires du traitement ou considérés comme «normaux» dans une pathologie chronique. Un outil sensible et spécifique le NDDI-E (Neurological Disorders Depression Inventory for Epilepsy), questionnaire en six items, permet de façon très simple d'évaluer les troubles dépressifs. Il ne faut pas hésiter à poser des questions sur d'éventuelles idées suicidaires, sur l'abus de substance et, surtout, sur l'anxiété présente dans près de la moitié des cas.

En cas de dépression avérée, la première étape est de vérifier si le ou les AE prescrit(s) ont un effet plutôt positif sur l'humeur (lamotrigine, carbamazépine, valproate) ou au contraire plutôt dépresseur (topiramate, levetiracetam, phénobarbital, zonisamide et, dans ce cas, diminuer la dose ou modifier le traitement).

Les IRS divisent par deux les crises


« La prescription d'un anti-dépresseur est indispensable et même bénéfique même si la notice indique un abaissement du seuil épileptogène », souligne la psychiatre. Une étude menée chez plus de 75 000 patients montre que les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRSS et IRSNa) divisent par deux l'incidence des crises ; en revanche, le buproprion et la clomipramine l'augmentent tandis que chez les épileptiques dépressifs non traités le risque de crise est multiplié par 19 par rapport à la population générale ! Un consensus d'expert recommande en première ligne un IRSS avec un bon profil de tolérance (sertaline, citalopram, paroxétine…, en fonction des troubles associés) puis un IRSNA (venlafaxine), en troisième ligne des tricycliques (imipramine) et, en dernier recours, une association type fluoxetine/paroxetine + tricyclique. Il faut débuter par de faibles doses et augmenter toutes les 2 à 3 semaines. La durée du traitement est d'au moins 6 mois après rémission complète s'il s'agit du premier épisode, de 2 ans au-delà. Les psychothérapies, voire les traitements comme la stimulation magnétique transcrânienne ou la stimulation neuro-vagale peuvent être discutés. 

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