vendredi 27 novembre 2015

Le terrorisme expliqué aux enfants

LE MONDE | Par Tahar Ben Jelloun (Ecrivain)

Il faut dire la vérité aux enfants. Surtout ne pas sous-estimer leur capacité à entendre des choses dérangeantes et horribles. Non qu’ils soient plus forts que les adultes, mais leur sensibilité peut être mise à l’épreuve sans que cela ait des conséquences désastreuses sur leur développement. Le mensonge et le déni peuvent laisser chez eux des séquelles et des complexes. Enjoliver le monde, mentir sur la gravité des faits, soit en les niant soit en les enrobant dans de la ouate ou du papier cadeau, risquerait de les isoler de la vie, qui est faite aussi bien de beauté que de violence.
Les contes de Charles Perrault sont pleins de cruauté. Ceux des Mille et Une Nuits sont encore plus terribles. C’est sans doute pour cela qu’on les aime. C’est ce qui fait leur universalité et leur modernité. C’est une illustration de la lutte du bien contre le mal.
Cela, les enfants le comprennent bien et, peut-être, en saisissent la complexité. Aujourd’hui, quelles que soient les précautions prises par les parents, leurs enfants ne sont pas tout à fait à l’abri de la violence et de la grande brutalité que véhiculent des jeux électroniques ou des clips musicaux, ou autres. Le cinéma lui-même participe de cette vision où les meurtres à la tronçonneuse sont choses banales. Sans parler de la pornographie à la portée d’un clic dès que les parents ont le dos tourné.
Le traumatisme vécu par les familles qui ont perdu un des leurs dans les attentats du 13 novembre est aussi dévastateur chez les adultes que chez les enfants. Ils ont besoin d’explication et de consolation. Le deuil est une affaire cruelle. Le temps est son allié.

Dialogue imaginaire

Mais la perte et l’absence font d’immenses trous dans l’existence, quel que soit l’âge. Evidemment, l’enfant a besoin de comprendre avec des mots peut-être mieux choisis, plus justes en même temps.
– Qu’est-ce qu’un terroriste ?
– C’est un individu qui a la soif du mal et dont l’objectif est de semer la terreur, la grande peur parmi la population.
– Pourquoi ?
– Parfois on ne comprend pas les raisons qui poussent certaines personnes à détruire des gens qu’ils ne connaissent pas et qui ne leur ont rien fait.
– Ils sont fous ?
– Non, le fou est celui qui a tout perdu et ne réfléchit pas. Il n’est pas responsable de ce qu’il fait. Or, les terroristes sont des individus qui ont été préparés par des spécialistes pour aller tuer et se faire tuer. Ils sont parfaitement au courant de ce qu’ils doivent entreprendre. A la limite, on peut dire qu’ils sont programmés.
– Ils n’ont pas peur ?
– Non, c’est là leur force. Normalement, dans une guerre, les adversaires sont face à face et les soldats des deux camps se battent pour ne pas perdre leur vie. Aujourd’hui, la guerre a changé de méthode et, surtout, les soldats ne sont pas des gens qui défendent des valeurs, un territoire ou un bien. Ils ne défendent pas leur vie, c’est ce qui les rend invincibles.
– Pourquoi acceptent-ils de mourir en tuant les autres ?
– Tout être a un instinct appelé « instinct de vie », c’est-à-dire une volonté naturelle de sauver sa peau et de vivre. Ces terroristes qui se font exploser dans la foule ont accepté de se séparer de cet instinct de vie. Il a été remplacé par l’instinct de mort.
– Comment ?
– Il existe des spécialistes qui leur racontent des histoires fondées non sur la raison mais sur des promesses mirobolantes. Ce travail est fait selon des techniques qui rendent le cerveau malléable, manipulable.
– Donne-moi des exemples.
– On utilise des mots correspondant à leurs attentes : djihad, martyr, paradis, récompense suprême… Quand on croit à tout ça, on passe de l’autre côté de la vie, c’est-à-dire qu’on accepte de croire que, si on fait le djihad, la guerre contre les mécréants – qui sont ceux qui ne croient pas en leur Dieu –, si on donne sa vie en sacrifice, on ira directement au paradis, où on serait attendu par des filles vierges et une vie mille fois plus belle que celle d’ici-bas !
– Ouwaaa !
– Tu as raison. Etre martyr, c’est mourir pour une cause, un idéal, et cela mérite une récompense choisie par Dieu.
– Tout cela n’est pas vrai ?
– Qu’importe si c’est vrai ou faux, le principal, c’est que ces individus croient à ces histoires à dormir debout. Leur cerveau ne fonctionne plus normalement. Il a été déconnecté de la réalité que nous connaissons. Ce sont des gens qui n’appartiennent plus à notre monde. C’est pour cela qu’ils sont dangereux. Ils n’ont pas peur de mourir, et même ils désirent de toutes leurs forces la mort après avoir accompli leur mission.
– Que devons-nous faire pour éviter de rencontrer ces gens ?
– On demande d’habitude aux enfants de faire attention. Sauf que, là, les personnes qui étaient au Bataclan pour écouter un concert de rock ne pouvaient pas imaginer une seconde qu’elles allaient y perdre la vie. La surprise est une force. La sécurité garantie à cent pour cent n’existe pas. Il y a le travail immédiat que fait la police, qui est nécessaire et très important, et puis il y a l’éducation sur le long terme. L’école doit intégrer dans ses programmes la lutte contre le racisme qui est souvent la base de l’intolérance et du fanatisme qui se traduisent, dans la réalité, par l’exercice du mal absolu : donner la mort gratuitement à des innocents et répandre la peur et la terreur.
– Tu es naïf !
– Peut-être, mais, en dehors de la guerre, je ne trouve pas d’autre solution.
Né au Maroc en 1944, Tahar Ben Jellounest écrivain et poète. Prix Goncourt 1987 avec La Nuit sacrée (Seuil), il a notamment publié Le Racisme expliqué à ma fille (1997), L’Islam expliqué aux enfants (2002) et Mes contes de Perrault (2014).

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