mardi 22 septembre 2015

Éthique Le manque de coordination des médecins constitue une forme de maltraitance des personnes vulnérables

 - HOSPIMEDIA
Conscient du rôle que les professionnels de santé ont à jouer dans les politiques de lutte contre la maltraitance, l'Ordre national des médecins a organisé, ce 22 septembre, un débat sur la question. Fiche technique partagée ou intervention dans l'élaboration des mesures de protection... la notion de coordination tient le haut du pavé.
Quelques semaines après la signature de la charte Romain Jacob, le Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom) s'est réuni, ce 22 septembre, pour organiser la réflexion en matière de bientraitance de la personne âgée, handicapée, ou atteinte de la maladie d'Alzheimer. L'objectif est clair pour Patrick Bouet, président de l'ordre, "dégager des voies pour tracer le sens que les médecins doivent prendre en direction des personnes vulnérables". Car si le médecin est bien reconnu comme un "maillon de la chaîne" en matière de repérage de la maltraitance, la vice-présidente du Cnom, Irène Kahn-Bensaude, l'admet, "le conseil ne s'était encore jamais saisi de la question".
 Maltraitance : 25% des saisines du pôle santé du défenseur des droits
Représentatives de 25% des saisines du pôle santé du défenseur des droits (soit environ un millier chaque année), les signalements de maltraitance des personnes âgées et handicapées relèvent en premier lieu de la maltraitance ordinaire. Principale source de signalement à domicile et en institution : les proches, la famille et les professionnels de santé. En établissements médico-sociaux, si des outils existent, "ils ne fonctionnent pas du tout, du moins pas très bien". Ce constat, dressé par Rachel Moutier, coordinatrice juridique du pôle santé du défenseur des droits, interroge les évolutions à apporter aux politiques publiques.
Renoncement des soins, dépistages tardifs, échanges rompus avec la médecine de ville pour les personnes handicapées… Face aux problématiques d'accès aux soins régulièrement mises en avant par le secteur associatif et confirmées par les rapports gouvernementaux, Pascal Jacob, président d'Handidactique, appuie sur les besoins de formation et de sensibilisation des professionnels de santé, ce qu'il appelle "l'École de l'autonomie". "Si l'on veut tuer dans l'œuf la maltraitance, précise-t-il, il faut savoir comment elle démarre et rendre tous les acteurs responsables."

Associer les médecins à l'élaboration des mesures de protection ?

"Première des bientraitances" pour Irène Kahn Bensaude, la prévention se heurte elle aussi à de nombreux obstacles. À commencer par l'absence de coordination des professionnels de santé, elle-même "forme de maltraitance" pour Pascal Jacob. Soulignant les erreurs médicales que peuvent générer le manque de communication entre les différents corps médicaux, le président d'Handidactique s'interroge : "Nous sommes le dernier pays d'Europe à arriver dans un service d'urgences sans que l'on sache exactement [de quoi souffre la personne handicapée]. À quand donc une fiche technique qui sortira d'une carnet de santé partagé par tous ?".
Convaincu de l'intérêt d'installer une telle fiche, Sylvain Bottineau, vice-président du tribunal d'instance de Lagny-sur-Marne insiste lui aussi sur la coordination. "On parle de formation mais c'est un leurre de croire qu'un médecin sera capable de comprendre les tenants d'un protocole pénal. Ce qu'il faut, c'est travailler ensemble pour élargir le dispositif de protection". Car si les textes de loi permettent bien de moduler les dispositions de tutelle ou de curatelle pour assurer une mesure adaptée, dans la pratique quotidienne "on ne le fait pas", assure l'homme de loi. Pour s'y astreindre, Sylvain Bottineau invoque l'intervention des médecins dans l'élaboration de la mesure de protection — un processus de pluridisciplinarité qui permettrait, selon lui, de passer au-delà du secret professionnel auxquels juges comme médecins sont soumis. Des initiatives qui, si elles existent localement, ne sont nullement inscrites dans textes. Ce dernier insiste donc. "Il est grand temps que le pouvoir exécutif s'empare de la question pour que le juge des tutelles n'agisse pas seul."

De la nécessité de revoir le cadre juridique

À la création d'un lien entre droit et professionnels de la santé, s'ajoute un second besoin : celui d'une partition commune entre organe juridique et acteurs de l'accompagnement à l'instar du "relais de compétence" canadien, afin d'assister les familles confrontées à la complexité du cadre juridique. Évoquant au passage sa perplexité face à l'apparente volonté ministérielle d'affecter davantage de mesures de protection aux aidants*, Sylvain Bottineau, s'il prône l'accompagnement des familles, appelle surtout à la réforme du cadre juridique. "La mesure de protection est un outil qui protège mais qui aliène également. À l'heure actuelle, l'autorité publique est dans l'incapacité de contrôler l'environnement et les conditions de vie de la personne sous protection. C'est pourquoi il est indispensable d'instaurer une enquête préalable [à l'affectation du statut de tuteur ou de curateur]". Une mesure qui, couplée à la coordination des professionnels de santé, offrirait selon lui le grand avantage de sortir du système de renouvellement de mesures. "Ce protocole de gestion de masse, achève Sylvain Bottineau, entre en totale contradiction avec la protection de la personne et la prise en considération de sa souffrance". Une conséquence, assure-t-il, d'un "système qui doit encore trouver son équilibre".
Agathe Moret 
* Plus de 50% des mesures de protection sont actuellement confiées à des professionnels de santé.
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