mardi 7 juillet 2015

Gérard Garouste, follement peintre

LE MONDE  | Par 

"Jeu de malin" (2010), une gouache sur papier de Gérard Garouste.


Ce 26 juin, à Saint-Paul-de-Vence, Adrien Maeght s’avouait heureux, simplement heureux, que la fondation qui porte le nom de ses parents consacre une exposition à Gérard Garouste, car, dit-il, « c’est un vrai peintre, un grand peintre, et moi j’aime la peinture ! ». Il n’est certes pas le seul, mais le cas de Gérard Garouste est un peu particulier : né en 1946, il émerge au début des années 1980 en pratiquant, à rebours de la génération qui l’a précédé, une peinture résolument figurative.

Or, paradoxalement, cet attachement à la pratique traditionnelle de son art lui vient de la découverte, alors qu’il était élève du sage abstrait Gustave Singier à l’Ecole des beaux-arts de Paris, de l’homme qui dynamita l’art au XXe siècle, Marcel Duchamp : « J’ai découvert Duchamp grâce aux interviews qu’il a accordées au critique Pierre Cabanne. Pour moi, ç’a été un choc. Singier le considérait comme un dadaïste sans trop d’importance. Ce n’était pas mon avis, et j’ai eu cette espèce de malaise de me dire : Bon, eh bien, c’est foutu, la peinture, c’est fini, qu’est-ce que je vais faire ? C’est un instinct de survie qui m’a fait retourner à la case départ, comme au jeu de l’oie. »

Il décide d’apprendre les fondamentaux du métier, les aspects les plus traditionnels de la technique picturale, étudiant la chimie auprès de restaurateurs de peinture ancienne, allant jusqu’à broyer lui-même ses couleurs, ce qui ne se pratique plus guère depuis l’invention du tube au XIXe siècle.

C’est ainsi que, tout en déclarant son admiration pour certains de ses contemporains, comme Daniel Buren ou André Cadere, qui ont choisi une autre voie, il décide de se « dresser contre tout ça », avec « la conscience que j’étais complètement anachronique. J’ai voulu assumer cette position, et ce n’est pas par hasard qu’à un moment donné je me suis passionné pour Don Quichotte ».

Un père antisémite

De la peinture, donc, figurative qui pis est, avec, suprême outrage, le sens antique de la hiérarchie des genres : « Un tableau, avant toutes choses, c’est une toile tendue sur un châssis, avec un sujet : le nu, le paysage, le portrait, la mythologie, la religion. » Cette dernière surprendra les yeux accoutumés aux grands tableaux d’église : depuis plus de vingt ans, en effet, Garouste étudie l’hébreu et puise son inspiration dans le Talmud ou la Kabbale. Il n’est pas juif, mais porte la croix d’avoir eu un père antisémite.

Et plus moche encore : durant l’Occupation, son père fit siens des biens juifs spoliés, dont ceux de la société de meubles Lévitan. Au catalogue traditionnel de la maison, il ajoute le mobilier pillé dans les appartements de juifs parisiens. A la Libération, la famille Lévitan revenue d’exil veut récupérer ses avoirs. Garouste père refuse, et il faudra un procès pour le contraindre à les restituer. Gérard Garouste a conté cette sombre histoire en 2009 dans un livre étonnant, L’Intranquille. Autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou (avec Judith Perrignon, éditions L’Iconoclaste). Il l’a aussi peint, dans un tableau de 2007 intitulé Carved : à son père, habillé d’un survêtement informe, mais bleu-blanc-rouge, le peintre adresse un pied de nez, au sens propre, puisque c’est son gros orteil qui gratte sa narine !

Voilà pour le fils. En ce qui concerne le peintre, on se reportera, par exemple, à un autre tableau, La Boussole et le Compas. Il montre l’artiste dans un intérieur avec, en haut, accroché au mur, mais de travers, une image d’inspiration picassienne. En bas, au sol, l’urinoir que Duchamp avait transformé en œuvre d’art et avait baptisé Fontaine. Garouste explique  : « Il s’agit de deux instruments avec lesquels on est appelé à se repérer, et j’y ai ajouté deux artistes extrêmement importants, mais pas complémentaires. Ils dessinent les deux tendances qui vont se développer jusqu’à aujourd’hui, le côté plastique, iconoclaste, mais qui reste dans le champ de la peinture, avec Picasso. Puis Duchamp, qui veut pulvériser l’art classique au niveau sémantique, au niveau des mots. C’est notre époque, passionnant. »


La folie au fil du pinceau


Enfin, il y a le fou. C’est encore un tableau qui le montre : « Un samedi matin, écrivit-il jadis dans le catalogue d’une exposition, je devais aller chercher quelqu’un à la gare de Dreux. Je ne suis jamais arrivé à la gare. La voiture me conduisait étrangement vers Chartres. Sur la route, la porte d’un cimetière : je me suis arrêté, car je devais y trouver ma tombe (…). Je suis entré dans la cathédrale (…). D’un geste, j’ai ramassé les cierges et les ai brisés devant quelques fidèles. Au loin dans la nef, il y avait un mariage. Les gens s’affolaient, la mariée était inquiète. J’ai senti une agitation autour de moi : je me suis enfui. En sortant, j’ai croisé des policiers [qui] m’ont conduit à l’hôpital, et de là, j’ai été transféré à Sainte-Anne. »

Le tableau a pour titre Chartres. Le peintre, cierges en main tenus comme des pinceaux, le visage au milieu du genou, contemple le célèbre labyrinthe au sol de la cathédrale. Au fond, de l’autre côté des méandres, une silhouette blanche qui pourrait être la mariée, ou autre chose, plus inquiétant.

Et puis, un dernier, sur un ensemble de 116 œuvres, dont 20 inédites, qui est peut-être notre préféré : à droite, le peintre, devant un livre aux pages vierges. A gauche, un orang-outan, ou un gorille, à la fourrure violette. Tous deux regardent, dubitatifs, une mappemonde coiffée d’un entonnoir, de ceux que les caricaturistes mettent sur le chef des cinglés. Le monde est fou ? Certainement. Certains artistes aussi ? Fort heureusement !

« Gérard Garouste. En chemin ». Fondation Maeght, 623, chemin des Gardettes, Saint-Paul-de-Vence. www.fondation-maeght.com

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