Né en 1310, Guillaume de Harcigny, qui soigna Charles VI de sa folie, est né à Laon, ses parents, agriculteurs à Harcigny, au cœur de la Thiérache, étant venus vivre de leurs revenus sur les hauteurs de la montagne couronnée, rue des Cordeliers. Après avoir commencé son éducation médicale dans le chef-lieu de l’Aisne auprès d’un chanoine de la cathédrale, Guillaume d’Harcigny, après avoir été nommé maître en médecine à Paris complète sa formation en Italie, puis en Palestine, Syrie et Egypte où il s’initie à la médecine orientale auprès des médecins arabes.
À son retour, il s’installe à Laon dans sa maison natale et ouvre un cabinet à Noyon. Il opère, tout au long de son exercice des cures si remarquables qu’on vient le consulter de tous les coins du diocèse, notamment pour les maladies mentales, Guillaume d’Harcigny a, en effet, beaucoup appris au contact des médecins arabes et de leur pharmacopée riche de potions sédatives. Sa réputation ne cesse alors de grandir et l’écho de son nom se fait entendre jusqu’à la Cour. C’est ainsi qu’il devient l’ami d’Enguerrand VII de Coucy, l’un des quatre Officiers de la Couronne, Bouteiller de Charles VI.
La crise de folie de Charles VI
Aussi lorsque le roi est pris d’une crise de folie dans la forêt du Mans le 5 août 1392, tuant quatre de ses hommes, le sieur de Coucy fait appel à Guillaume d’Harcigny. Après avoir été désarçonné, Charles VI a été maitrisé par son entourage et ramené du Mans à Creil « pour lui faire prendre l'air sain sur les bords de l'Oise ». Là, selon Froissart, il est « mis entre les mains de Maître Guillaume de Harselli, médecin le plus expérimenté de France qui lui osta premièrement, la fièvre continue, puis luy fist retrouver le goust et luy fist revent son sens, non sans assuré qu'il avait auparavant. Harselli employa pour dompter la furie du Roy et luy fist une cage de fer qui se voist encore au château de Creil, pour retenir tant qu'il fust furieux pour luy faire voir lear ».
Six semaines de dévouement remarquable au service du roi
Guillaume de Harcigny établit alors son diagnostic : « Cette maladie est survenue au prince par coulpe [excès]. Il tient cela de tempérament moite de sa mère [Jeanne de Bourbon devenue folle à 35 ans], d'un grand affaiblissement du cerveau et d'excès commis à diverses époques [allusion au penchant connu du roi pour la dive bouteille]. » Le médecin conclut qu'il faut employer des médicaments appropriés au tempérament de son patient et les graduer d'après ses forces. Il interdit toutes visites à l'exception du duc d'Orléans et du duc de Bourgogne. Même s’il est alors octogénaire, Guillaume de Harcigny reste sans désemparer au chevet de son patient. Finissant par lui ôter la « fièvre lente », il préconise au roi de pratiquer modérément le cheval, la chasse à l'alouette ou à l'épervier pour « lui ôter des pratiques violentes et de fatigue ». Durant six semaines, du 15 août au 30 septembre 1392, va ainsi soigner Charles VI avec un dévouement remarquable.
En cette fin septembre, « quand Maître Guillaume de Harcigny vit que le roi était en bon point, il en fut tout joyeux ; ce fut raison car il avait fait belle cure », Le médecin présente alors le roi aux princes et déclare : « Le Roi, Dieu mercy est en bon état. Je vous le rends et livre. Dorénavant qu'on le garde de le courroucer et de le mercantolier car encore n'est-il pas bien ferme dans tous ses esprits, mais petit à petit son cerveau s'affirmera. Déduits, oubliances et déports de raison lui seront profitables de toutes autres choses. Mais du moins que vous pourrez, ni le chargez et travaillez de conseils car il a et aura encore, en toute saison le chef faible et tendre car il a été battu et formené de très dure maladie. »
Les princes du royaume vont tenter en vain de retenir Guillaume de Harcigny auprès du roi en lui offrant un traitement tellement élevé qu'il aurait lieu d'en être satisfait. On lui propose de devenir « Premier médecin du prince avec la faculté de pouvoir requérir l'envoi de quatre chevaux pris dans les écuries royales toutes les fois qu'il lui prendrait la fantaisie de venir à la Cour ». Las, Guillaume de Harcigny décline tous les honneurs : « Je ne serai désormais qu'un vieil homme faible et impotent ; je ne pourrais, en conséquence, supporter l'ordonnance de la Cour. Bref, je veux retourner à ma maison nourricière à Laon ». Les princes du royaume accèdent aux vœux du vieil homme et le laissent revenir sur sa terre natale après lui avoir fait don de mille couronnes d'or.
Guillaume d’Harcigny ne tarde pas à mourir, non sans avoir, auparavant, par testament, légué six mille florins d'or pour l'entretien des remparts entourant la ville de Laon ainsi que diverses sommes aux abbayes, aux couvents, aux églises et hostelleries pour venir en aide aux plus démunis. Un montant a été également défini pour sa sépulture. Le village d’Harcigny n’est pas oublié non plus par Guillaume qui reçoit cinq cents florins pour « avoir des ornements pour faire le service de Dieu dans ladite église ».
L’impressionnant transi de Guillaume de Harcigny
Du tombeau du médecin laonnois, il ne reste que le transi le représentant réalisé un an après sa mort. Alors que le gisant représente les défunts vêtus du costume qui les caractérise ( roi, évêque, chevalier...), le transi est une sculpture funéraire qui montre le défunt à l’état de cadavre. L’horreur et la putréfaction remplacent les sourires et les costumes d’apparat. Le transi de Guillaume de Harcigny est le plus ancien témoignage de ce type de sculpture conservé en France. Ce très haut-relief sculpté dans un monolithe de calcaire beige contenant des restes de fossiles et des grains de glauconie verdâtre est censé rappeler la décomposition. La dépouille, allongée sur le dos, très droite, montre un homme d’une stature haute et mince, au corps assez bien conservé un an après la mort. Le visage est squelettique et les cheveux ont poussé, les côtes apparaissent, mais les fessiers sont encore présents. Guillaume de Harcigny ne joint pas les mains dévotement, mais tente, de ses phalanges sèches, de cacher un sexe pourri depuis longtemps... Sur une inscription en latin au bas du tombeau, on peut lire : « Je rends mon âme à Dieu et mon corps à la terre ».
La statue a été sauvée des destructions de la Révolution, les habitants de Laon s’étant alors montré reconnaissants des dons généreux que Guillaume d’Harcigny avait faits pour sa ville natale. Le Directoire du gouvernement autorisa donc, en 1791, l’église des Cordeliers étant passé « bien national », la réinhumation du transi et des restes osseux dans la nef de la cathédrale Notre-Dame. En 1841, sous la conduite d'un médecin, on exhuma le transi mais les ossements conservés dans une boîte en plomb se perdirent...
En 1853, le Conseil de fabrique de la cathédrale fit don du transi de Guillaume à la ville de Laon. Il fut alors transporté, non sans casse, dans la chapelle des Templiers. Depuis sa restauration en 2003 par les Ateliers du Centre de Recherche et de Restauration, à Versailles, le transi de Guillaume de Harcigny se trouve désormais dans le hall d'accueil du Musée municipal d'Art et d'Archéologie de la ville de Laon.
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