lundi 29 juin 2015

Vaccins : « Nous payons la note du paternalisme »

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO |  | Propos recueillis par 

Anthropologue de formation, Heidi Larson est maître de conférences à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, où elle dirige des travaux sur les questions de confiance envers les vaccins et les implications de ces attitudes dans les programmes vaccinaux. Elle a rédigé le rapport « The State of Vaccine Confidence 2015 » (« L’état de la confiance dans les vaccins »), qui analyse le sujet à l’échelle mondiale.





Les hésitations ou la défiance à l’égard des vaccins semblent s’accroître. Qu’en est-il réellement  ?

Il existe un problème croissant de confiance envers les vaccins dans les couches les plus aisées de la population. On le constate aux Etats-Unis, au Canada, en Europe, en Australie, au Japon. Mais ces doutes ou réticences se rencontrent aussi parmi les couches les plus défavorisées. Ainsi, le phénomène prend l’allure d’une courbe en U, où les populations des tranches les plus extrêmes de revenu montrent une défiance plus importante que celles aux revenus moyens. Les réseaux sociaux jouent un rôle majeur dans la diffusion de messages de la part de groupes hostiles en tout ou partie aux vaccins. Néanmoins, là où un travail important a été accompli par les autorités sanitaires pour convaincre de l’utilité de certains vaccins, comme au Royaume-Uni avec celui contre la rougeole, les oreillons et la rubéole, l’acceptation de la vaccination a progressé.

Les oppositions aux vaccins ont des motivations diverses. Lesquelles avez-vous identifiées ?

Il existe deux motifs principaux : l’option idéologique privilégiant la nature, et la défiance à l’égard des autorités. L’option « nature » prédomine dans des zones moins ou peu affectées par les maladies contre lesquelles les vaccins protègent. Elle s’oppose globalement aux nouvelles technologies, aux OGM, aux vaccins et à leurs adjuvants… Cette attitude se rencontre plutôt dans les pays développés. La même démarche apparaît également dans les couches les plus fortunées des pays émergents.

L’autre motif se rencontre davantage parmi les populations pauvres et marginalisées, qui éprouvent une forte méfiance à l’égard des gouvernements et des autorités. Les vaccins sont la seule intervention en santé qui aille du sommet vers la base, qui soit régulée par le gouvernement – il en fixe le calendrier – et concerne toute la population. Quiconque a un problème avec le gouvernement peut être réticent aux vaccins, surtout lors de campagnes de masse.

Avez-vous identifié d’autres mécanismes alimentant la défiance, par exemple les conflits d’intérêts ?

Cela rejoint le second motif : des personnes ayant des reproches à faire aux industriels seront évidemment plus enclines à douter de leurs vaccins ou à penser qu’ils cherchent avant tout à en vendre le plus possible. Cela s’accompagne de soupçons de collusion entre les autorités sanitaires et les industriels.

Pourquoi la défiance a-t-elle augmenté ces dernières années ?

Il y a d’abord le fait que le nombre de vaccins et d’injections s’est énormément accru ces dernières décennies. Il conviendrait donc d’essayer de rationaliser les vaccinations plutôt que de les empiler. Mais nous payons aussi la note du paternalisme qui a prévalu du côté des autorités et de la communauté médicale, qui tenaient pour acquis que la population acceptait docilement de faire ce qu’on lui disait de faire en matière de vaccination. Le public a fini par dire : c’en est trop. Ne pas assumer qu’il peut exister chez des individus des effets indésirables provoqués par un vaccin, bien que l’intérêt collectif de la population soit d’être protégée contre des maladies graves, est contre-productif. De plus, la proportion de professionnels de santé ayant des réserves à l’égard des vaccins a augmenté.

Comment renforcer la confiance ­envers la vaccination ?

L’exemple récent de l’Espagne, où un enfant non vacciné se trouve dans un état critique après avoir contracté la diphtérie, montre l’importance de la vaccination contre cette maladie. Il faut prendre le temps d’expliquer l’utilité des vaccins et ne pas considérer que c’est un fait acquis. Lorsqu’un nouveau vaccin est introduit, il est indispensable de prendre en compte les facteurs et le contexte historiques, sociétaux et politiques pouvant influencer le public. Donc, il faut investir dans la recherche en sciences sociales sur ces aspects. Sans un dialogue des autorités avec les professionnels de santé et le public, il n’y aura pas de progrès dans la confiance envers les vaccins. Or, nous en aurons besoin. Nous le voyons avec les épidémies en cours (Ebola, MERS coronavirus), sans oublier, tôt ou tard, une nouvelle pandémie grippale peut-être plus sévère que celle de 2009.


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