lundi 22 juin 2015

Nouveaux regards sur la schizophrénie

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO |  | Par 
Pourra-t-on un jour prévenir la schizophrénie ? « Il y a vingt ans, c’était inenvisageable. Aujourd’hui, c’est un objectif atteignable, assure le professeur Marie-Odile Krebs, chef de service à l’hôpital Sainte-Anne (Paris), qui préside l’Institut de psychiatrie, incluant vingt et une équipes françaises. Nous pouvons maintenant proposer des prises en charge précoces, avant même le premier épisode psychotique, ce qui réduit sensiblement le risque de basculer dans une schizophrénie. Et l’enjeu pour l’avenir est de pouvoir repérer les individus vulnérables, pour s’inscrire encore plus dans des démarches de prévention. »

Une jeune femme atteinte de schizophrénie dessine un labyrinthe pendant un atelier d'art-thérapie.

Avec une équipe internationale, la professeure Krebs vient de montrer que 80 à 90 % des personnes dites à « ultra-haut risque » qui feront un épisode psychotique dans l’année peuvent être identifiées par un panel de 22 biomarqueurs sanguins. Il s’agit de molécules impliquées dans la réponse inflammatoire et immunitaire, de facteurs hormonaux et de facteurs de croissance, selon l’étude à paraître dans la revue Translational Psychiatry.


Approche inédite


Prédire la survenue d’une schizophrénie par une simple prise de sang ? L’approche est inédite. Jusqu’ici, les critères sont uniquement cliniques. « Il s’agit d’adolescents ou de jeunes adultes avec des symptômes d’abord peu spécifiques : troubles anxio-dépressifs, repli sur soi, baisse des performances scolaires, abus de substances telles que le cannabis, puis plus spécifiques comme des distorsions perceptuelles, des idées fixes…, détaille Marie-Odile Krebs. Ces signes appelés « prodromiques » sont associés à un risque de 36 % de déclarer une schizophrénie dans les trois ans. Mais les travaux menés en Australie par Patrick McGorry à partir des années 1990 ont montré que, en prenant en charge ces jeunes, le taux de conversion passe à 10-15 %. »

Les interventions précoces consistent principalement en des thérapies comportementales et cognitives, des méthodes de psycho-éducation, et une prise en charge des troubles associés : dépression, addiction… Les antipsychotiques ne sont en principe pas utilisés à ce stade. « Nous venons de débuter une étude pour évaluer les effets de techniques de gestion du stress chez des patients à ultra-haut risque de psychose », précise Mme Krebs.

Certes, ces stratégies d’intervention précoce sont peu développées en France, et l’ampleur de leur bénéfice reste même discutée, mais elles sont un bel exemple du vent nouveau qui souffle sur la recherche et la prise en charge de la schizophrénie. Une bouffée d’air d’autant plus réjouissante que cette maladie, qui touche presque 1 % de la population, n’a longtemps guère bénéficié des progrès de la science.


Cette maladie fait toujours peur


Depuis les médicaments antipsychotiques, dont la deuxième génération est arrivée dans les années 1990, aucune molécule innovante n’a vu le jour. Or, si ces traitements luttent efficacement contre des symptômes de la maladie (délires, hallucinations…), leur effet reste modeste sur certains autres symptômes, comme l’absence de motivation et le retrait social, et les troubles cognitifs.

Dans le public, la schizophrénie fait toujours peur. Même associée à des personnalités de génie, comme le Prix Nobel d’économie John Nash (décédé le 23 mai à 86 ans), elle reste l’emblème de la folie avec délires, violences… Le préjugé schizophrène = meurtrier, bien que démonté par de nombreuses études scientifiques, a toujours la vie dure. En pratique, la maladie se caractérise par des crises avec une forte anxiété, des idées bizarres ou délirantes et/ou des hallucinations. En dehors de ces périodes aiguës, il existe des signes plus permanents, telles que de grandes difficultés à s’organiser dans la vie quotidienne, souvent perçues, à tort, comme une paresse pathologique.

Mais le regard devrait évoluer très vite. En quelques années, les chercheurs ont beaucoup appris sur cette maladie, qui apparaît désormais comme un dysfonctionnement de la connectivité cérébrale, avec des formes intermédiaires liées à d’autres troubles neuropsychiatriques : maladie bipolaire, autisme…

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