jeudi 7 mai 2015

Si « Le Généraliste » était paru en 1901 Comment Cambronne cessa d’être alcoolique

07.05.2015

« Puisque nous sommes tous enrôlés pour la croisade anti-alcoolique, une croisade sainte entre toutes, allons-y de notre contribution.

C’est en parcourant les “ Mémoires ” d’Alissan de Chazet publiées au siècle dernier que nous avons cueilli au passage cette anecdote que nous croyons peu connue, en dehors d’un cercle restreint, et relative au héros légendaire de Waterloo.

Le général Cambronne, qui était revenu de l’île d’Elbe avec Napoléon, reconnut quelques années plus tard le gouvernement de Louis XVIII et prêta serment de fidélité aux Bourbons (comme tant d’autres en ce temps de défection !) en qualité de chevalier de Saint-Louis.

En présence de cette variété d’opinions, il y avait bien lieu de soupçonner la loyauté du brave soldat. L’auteur des “ Mémoires ” que nous citons se crut donc autorisé à demander à un de ses amis qui avait vécu dans l’intimité du général, si on pouvait vraiment compter sur sa parole.

“ Cambronne, répondit M. Idlinger (c’était le nom de l’interlocuteur), il n’existe pas sur terre d’homme aussi loyal et aussi fidèle à ses promesses. Je vais vous raconter un trait qui vous donnera une idée de sa mémoire et de sa volonté. J’étais, en 1793, officier dans un régiment en garnison à Nantes et Cambronne servait sous mes ordres. Il était fort sujet à s’enivrer et, de plus, était d’un caractère très violent. Un jour qu’il était resté trop longtemps à table, il avait frappé un de ses supérieurs de manière à lui faire grand mal, en lui annonçant qu’il recommencerait à la première occasion. Il fut traduit sur-le-champ devant un conseil de guerre et, comme les lois militaires sont précises, il fut condamné à mort. Je regrettais vivement la perte de ce brave car, dès cette époque, j’avais deviné que sous une enveloppe un peu rude, il cachait des qualités précieuses. Quand l’arrêt fut prononcé, je trouvai moyen de faire suspendre l’exécution pendant quelques jours et je profitai de ce délai pour intéresser en faveur de Cambronne le représentant du peuple alors en mission. Mes recommandations ne furent pas vaines : le conventionnel me répondit que du moment où il n’y avait pas dans tout cela de crime politique, le condamné pourrait obtenir sa grâce, s’il promettait d’être plus sobre.

Je fis alors venir Cambronne et je lui dis que s’il s’amendait, je pourrais faire commuer sa peine.

– Je ne le mérite pas, mon colonel, me dit-il du ton le plus solennel, ce que j’ai fait est abominable ; on m’a condamné à mort, il n’y a rien de plus juste et il faut que je meure.

– Je te répète que tu ne mourras pas et que tu auras ta grâce si tu me jures de ne plus te griser.

– Comment voulez-vous que je vous jure cela si je continue à boire ? J’aime bien mieux me brouiller tout à fait avec le vin.

– Te sens-tu capable d’une si grande résolution ?

– Oui, puisque vous êtes capable d’un si beau trait !

La chose fut ainsi convenue. Et il eut sa grâce pleine et entière.

L’année suivante, je quittais le service et je perdis de vue Cambronne. Vingt-deux ans après, au mois d’avril 1815, ayant lu dans les journaux que cet intrépide général avait accompagné Napoléon depuis Cannes jusqu’à Paris, je l’invitai à dîner. Il accepta avec empressement. Après le potage, je lui proposai un verre de vin de Bordeaux qui avait vingt ans de bouteille.

– Ah, mon commandant (il continuait de me donner ce nom par amitié), ce n’est pas bien ce que vous faites là .

– Comment, ce n’est pas bien ! Si j’en avais de meilleur, je vous l’offrirais.

– Du vin, à moi ? Vous ne vous rappelez pas ce que je vous avais promis ?

– Non, en vérité !

Et alors il me rappela l’engagement qu’il avait pris à Nantes en 1793. Depuis ce jour, ajouta-t-il, je n’ai pas bu une goutte de vin. C’était bien la moindre chose que je pouvais faire pour un brave homme qui m’avait sauvé la vie. Si je n’avais pas tenu mon serment, j’aurais cru avoir quelque chose à vous.

Je vous laisse à juger, conclut le narrateur, si celui qui a eu assez d’empire sur lui-même pour tenir une promesse de ce genre sera fidèle à son serment de chevalier de Saint-Louis, le plus terrible et le plus sacré de tous. ” »

(La Chronique médicale, mai 1901)

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