vendredi 1 mai 2015

Robert de Traz, « Visite à Freud », Les nouvelles littéraires artistiques et scientifiques, mars-avril 1923, p. 1-2.

OLIVIER DOUVILLE 

Dans la Revue de Genève
son directeur Robert de Traz (1884-1951), esprit cultivé et cosmopolite, relate son entrevue avec Freud à Vienne


Au cours de son éphémère publication -elle a disparu après dix ans- cette revue se fit le chantre d’un « idéal européiste » inspiré du génie genevois et elle œuvra au rapprochement des élites françaises et allemandes en organisant de larges débats sur les problèmes qui divisaient la communauté internationale. Cette capacité particulière à renouer le contact avec les adversaires d’hier en leur fournissant l’occasion de rencontres qui ne se produisaient pas ailleurs.

Le professeur Sigismond Freud habite, à Vienne, au bout d’une rue en pente, dans un appartement simple d’aspect, où il vous reçoit rapidement, entre deux consultations. Le plus simple, pour bien l’interroger, serait de prétexter une névrose : en faisant « psychanalyser », à l’instar des Anglais et des Américains, qui y recourent en masse, on apprendrait beaucoup de choses sur le freudisme. Mais trop honnête pour simuler un trouble que je n’aurais d’ailleurs pas avoué, j’eus avec lui un entretien court et gai.

Car cet homme qu’on imaginerait, d’après certains de ses commentateurs, bizarre et prophétique, témoigne au contraire d’une charmante bonhomie. Teint mat, œil vif, barbiche grise et dure, il rit tout à coup ou soudain s’impatiente. Je n’ai pas le loisir de rapporter ici l’ensemble de ce qu’il a bien voulu m’expliquer, mais j’en voudrais au moins citer deux traits. Par exemple, je lui raconte que des écrivains français, en nombre grandissant, s’intéressent à ses découvertes. Il s’en amuse tout d’abord :

– Vraiment ? Mais je suis si peu traduit en français ! Alors vous dites, les milieux littéraires…

L’idée lui plaît. Puis comme je lui signale que cet engouement provoque certains malentendus, très vite il ajoute :

– À propos de la « libido », bien sûr. Naturellement. Eh bien ! je ne veux pas qu’on voie dans ma doctrine une obsession sexuelle. C’est  faux ! À mes yeux, la « libido » n’explique pas tout l’homme qui comporte bien d’autres ressources psychologiques. D’ailleurs, dans mon système, la « libido » ne signifie pas le seul désir génital, mais le désir en général. Elle a été définie à l’avance par Platon, monsieur, lorsqu’il a défini Eros, et aussi par l’apôtre Paul. C’est un principe d’attraction. Voilà tout.

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