jeudi 7 mai 2015

« Melody » : un portrait de femmes sur fond de GPA

Le Monde.fr | Par 

Rachael Blake et Lucie Debay dans le film belge, luxembourgeois et français de Bernard Bellefroid, "Melody".

Certains jouent au loto, d’autres cumulent petits boulots et heures sup. Mais pour réaliser son rêve (ouvrir un salon de coiffure), Melody a trouvé une autre solution : elle a accepté de porter neuf mois durant l’enfant d’une riche Anglaise, Emily, qui ne peut plus en avoir naturellement. « C’est mieux que d’être pauvre », dit-elle à une amie, bravache. Naïve surtout. Le temps passe, Emily et elle apprennent à se connaître, se prennent d’affection l’une pour l’autre… Et Melody se prend aussi d’affection pour le petit enfant qu’elle abrite. Il lui semble soudain plus difficile qu’elle ne l’aurait cru de disparaître après la naissance pour laisser Emily et sa fille vivre leur vie sans elle.

C’est un sujet ardu que celui auquel Bernard Bellefroid se risque. Au cœur des débats de société, la gestation pour autrui (GPA) a déjà donné lieu à plusieurs documentaires pour le cinéma et la télévision, engagés et optimistes (Naître père, de Delphine Lanson, montrait en 2013 le parcours d’un couple gay qui a eu recours à une mère porteuse américaine, comme le documentaire de France 2, Deux hommes et un couffin), ou beaucoup plus inquiétants (Google Baby  Bébés en kit, film israélien de 2009, proposait une plongée sans jugement ni fard mais assez alarmante dans les pratiques d’une entreprise spécialisée proposant via Internet des bébés à la commande).


Deux comédiennes de talent


Le réalisateur belge a lui aussi à cœur de ne juger ni la GPA, ni ceux qui y ont recours. Il se contente de l’illustrer, et le fait avec beaucoup de justesse grâce à deux comédiennes de talent, Lucie Debay et Rachael Blake, qui parviennent, chacune dans un registre très différent, à faire remarquablement évoluer leur personnages dans l’heure et demie que dure le film.

Assumant plutôt bien ses tentations esthétisantes, la mise en scène de Melody n’est pas neutre : elle distribue équitablement l’empathie, mettant également en lumière la détresse de Melody et celle d’Emily, leurs espoirs et leurs blessures, pour inviter le spectateur à prendre en compte, lui aussi, les deux faces de l’histoire.

La leçon est importante, et serait efficacement donnée si, par ailleurs, le film ne paraissait pas fuir son propre sujet. Parfois employée à bon escient, lorsqu’elle rapproche deux moments forts assez éloignés dans le temps, l’ellipse semble souvent tenir lieu d’échappatoire. Surtout, l’histoire s’écrit dès le départ en direction d’une issue que l’on ne dévoilera pas ici, mais qui permet au réalisateur d’échapper à tout embarras d’ordre moral.

Pour peu que, comme sans doute un certain nombre des spectateurs qui iront voir ce film, on y soit poussé par le désir de réfléchir aux problèmes posés par la GPA, on ressortira de Melody assez frustré. Le portrait de femmes est beau, et, à l’échelle des individus, la réflexion sur le désir de maternité pudique et souvent fine. Cependant, le cœur du problème tel qu’il y est posé ne s’appréhende pas à l’échelle de chaque individualité, mais dans la rencontre entre celle qui porte l’enfant dont une autre a voulu être mère, et celle qui veut devenir mère sans avoir porté l’enfant : rencontre dont Melody se détourne de lui-même, après l’avoir pourtant provoquée.


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