lundi 25 mai 2015

«Je n’avais plus de vie, j’étais prise dans une spirale»

AMANDINE CAILHOL 


«Aujourd’hui j’assume, j’arrive à le dire : je suis en burn-out.» Ce mot, Nicole (1), la quarantaine, l’a longtemps tu. Par «honte» ou«culpabilité». Celle d’avoir abandonné son travail, de ne «pas avoir été assez forte». Employée d’une PME dans l’Oise, elle a longtemps cumulé les casquettes - comptable, chargée des ressources humaines, responsable de la clientèle - et les heures de travail. Pendant «deux années d’enfer, totalement prise par [s]on travail»,elle enchaîne des journées non-stop au bureau, de 7 h 30 à 18 heures, avant de se scotcher à nouveau à son ordinateur jusque tard dans la soirée. Même chose le week-end. Et le reste de l’année, excepté pendant l’unique semaine de congé que cette mère de famille s’accorde, en août. «Mon travail avait pris une telle ampleur ! J’y pensais tout le temps. J’avais même un stylo à côté du lit, je faisais les plannings au milieu de la nuit.» Jusqu’à ce qu’elle s’effondre.
«J’ai fait ma chute il y a un an et demi.» Une chute au sens propre, un malaise, en sortant du travail, avec perte de connaissance de près d’une heure puis hospitalisation. «J’étais dans un état de fatigue extrême. Quand mon médecin m’a annoncé le diagnostic, il m’a dit : "Vous vous souvenez de vos douleurs lombaires, vos migraines, vos insomnies, votre fracture de fatigue [fissure de l’os, ndlr] ?"Autant de signaux que je n’avais pas voulu voir. Je n’écoutais pas mon corps, pas plus que mon entourage.» Privée de parole pendant plusieurs jours, Nicole perd aussi «tous [s]es repères, l’estime de soi et le goût de faire des choses». La «douleur morale» emporte tout. «J’étais devenue agoraphobe, j’avais peur qu’on me juge. J’étais incapable d’aller chercher une baguette de pain au bout de la rue.» Tout avait pourtant bien commencé dans cette entreprise où elle avait débuté «en bas de l’échelle». Jusqu’à l’arrivée d’un nouveau patron, en 2006. «Il m’appelait n’importe quand, sur mon portable ou chez moi. Si je ne répondais pas, il venait à mon domicile. Sans compter la charge de travail. Je n’avais plus de vie, j’étais prise dans une spirale.» La situation empire quand les finances de la société déclinent. Le boss reporte alors toute la pression sur son employée. «Il menaçait de licencier abusivement mes collègues pour "maintenir son niveau de vie". Ce n’est pas dans ma nature de faire cela, alors je me battais pour faire entrer de l’argent dans la boîte.»
Aujourd’hui, penchée sur son classeur dans lequel elle consigne notes et coupures de presse sur le burn-out, Nicole prend du recul.«Si j’en suis arrivée là, c’est à cause du travail. En me faisant porter de telles responsabilités, on a abusé de moi. Quand je pense qu’ils sont plusieurs à me remplacer aujourd’hui !» Bien entourée, accompagnée par un psychiatre et un groupe de parole dans lequel elle peut «échanger avec des gens qui ont vécu la même situation», elle réapprend les «petites choses de la vie». Elle se sent capable d’aller aux prud’hommes, mais n’a pas lancé de démarches pour obtenir la reconnaissance professionnelle de sa maladie. Un combat trop complexe, pour lequel elle n’a «pas encore trouvé la force. Il y a un gros travail à faire dans notre société sur le burn-out»,conclut-elle.
(1) Le prénom a été modifié.

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