mardi 19 mai 2015

Distorsion morale sur la correction du génome

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | Par 


Jusqu’à présent, les techniques d’ingénierie du ­génome n’étaient utilisées que pour modifier certains tissus d’un individu, comme la rétine ou la moelle osseuse, mais ne touchaient pas au génome des descendants. Quatre enzymes peuvent modifier l’ADN de nos chromosomes : les méganu­cléases, les TALEN, les nucléases à doigt de zinc et les CRISPR-Cas9. Les trois premières sont complexes à mettre en œuvre ; la quatrième est plus facile mais peu spécifique, c’est-à-dire qu’elle modifie l’ADN à des endroits non souhaités en plus de la cible médicale. Le coût de ces enzymes a été divisé par 10 000 en dix ans, ce qui ouvre la voie à un bricolage de notre génome.

En mars, des chercheurs et industriels ont mis en garde contre les tentatives de modifier des cellules embryonnaires, ce qui modifierait l’hérédité humaine. Les signataires s’inquiétaient des risques liés à l’utilisation des CRISPR-Cas9, qu’un étudiant en biologie peut fabriquer en quelques heures. Ce moratoire sur les thérapies géniques embryonnaires, comme beaucoup d’autres avant lui, n’a pas été respecté. Une équipe chinoise a publié, le 18 avril, les premières ­modifications génétiques sur des embryons humains, destinées à corriger une mutation responsable d’une maladie du sang, la bêta-thalassémie. Cette expérience ne pouvait aboutir à des bébés, car les 86 embryons présentaient des anomalies chromosomiques mortelles avant même la manipulation. Modifier génétiquement un embryon destiné à naître supposerait un « process » zéro défaut. Ce n’est pas le cas aujourd’hui puisqu’une une minorité seulement des embryons manipulés ont vu la mutation ciblée corrigée.


Des « bébés à la carte »


Ces techniques ne seront opérationnelles sur l’embryon humain que dans dix à quinze ans. Nous avons donc le temps de réfléchir à l’immense pouvoir dont nous allons disposer sur notre identité génétique. Est-il imaginable d’empêcher les parents de concevoir des « bébés à la carte » à partir de 2030 quand la technologie sera au point ? En réalité, les parents du futur exigeront des modifications génétiques embryonnaires pour prévenir le développement de maladies chez leur enfant, mais aussi dans toute sa descendance. Il n’est pas raisonnable d’imposer aux familles des thérapies géniques successives à chaque génération pour traiter les maladies très graves. Qui ne souhaiterait supprimer définitivement le risque d’avoir des descendants atteints de myopathie ou de démence de Huntington ?

Le débat sur les modifications génétiques sur l’embryon est d’autant plus décalé que la société est ultra-eugéniste : l’élimination des trisomiques est socialement admise ! En 2015, 97 % des enfants trisomiques dépistés sont avortés, ce qui est jugé – à tort ou à raison – parfaitement moral. En revanche, l’idée de corriger sur l’embryon une mutation génétique qui entraîne 100 % de chances de mourir pendant l’enfance de myopathie ou d’une affection neurologique est perçue comme un crime contre l’humanité. La France a ratifié la convention d’Oviedo qui bannit les modifications du patrimoine héréditaire de l’espèce humaine. Les générations futures se moqueront pourtant de cette incroyable distorsion morale, et feront le contraire de ce qui nous semble éthique : elles corrigeront l’ADN des embryons, au lieu d’avorter les bébés mal formés.

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