jeudi 21 mai 2015

A l’hôpital Tenon, l’angoisse de la fin des 35 heures

LE MONDE Par 

Dans la salle de réveil de l’hôpital Tenon, à Paris (20e).

Dans la salle de repos du service anesthésie-réanimation de l’hôpital Tenon, dans le 20e arrondissement de Paris, déserte en ce lundi après-midi de mai, un tract syndical sur une table basse rappelle discrètement ce qui enflamme toutes les discussions depuis plus d’une semaine. « La suppression des RTT ne passera pas ! », « Même pas en rêve tu touches à mes RTT », peut-on y lire.

A une très forte majorité, les 50 infirmiers, infirmiers anesthésistes et aides-soignants du service avaient prévu de se déclarer grévistes jeudi 21 mai pour protester contre la réorganisation du temps de travail des 75 000 salariés non médecins de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Une journée de mobilisation que les organisations syndicales, unanimes dans leur rejet du projet, qualifient déjà d’« historique », avec des taux de mobilisation « exceptionnels, supérieurs à 50 % », contre cette réforme dont la mise en place est envisagée au 1er janvier 2016.


« Ça manque de clarté »


Les affiches placardées sur les panneaux syndicaux promettent le pire aux salariés : disparition des jours de RTT ou de ceux accordés pour événements familiaux, nouveau calcul du temps d’habillage ou de restauration… Les trois mails que Martin Hirsch, le directeur de l’AP-HP, a récemment envoyés aux personnels n’ont pas suffi à apaiser les craintes. « Ce sont des grands mots et des belles phrases, mais ça manque de clarté », estime une infirmière sous couvert d’anonymat. Un flou assumé par la direction, qui souhaitait d’abord dresser un « état des lieux » – et sans doute mieux évaluer le rapport de forces – avant de présenter ses propositions à l’ouverture des négociations, le 28 mai.

Aux syndicats, médias ou politiques qui annoncent la suppression ou la remise en cause des 35 heures proprement dites dans les 38 établissements de l’AP-HP, la direction assure qu’elle souhaite seulement en « revisiter les modalités » afin de ne pas avoir à supprimer 4 000 emplois dans les cinq ans à venir. Dans un « document d’orientation », elle détaille l’organisation du temps de travail dans son ensemble, faisant figurer aussi bien les trente minutes pour déjeuner « systématiquement accordées » aux salariés sur leur temps de travail que les 3 558 jours donnés en 2014 aux médaillés du travail ou les 33 766 journées de repos accordées aux mères pour la Fête des mères. « Il ne faut pas avoir fait Saint-Cyr pour comprendre où ils veulent en venir », juge-t-on à la CGT, le syndicat majoritaire à l’AP-HP, qui dénonce « une provocation et un chantage à l’emploi ».


Supprimer cinq journées de RTT


En attendant le 28 mai, cette absence de propositions fermes nourrit les inquiétudes les plus sombres des salariés. « J’ai peur qu’on nous impose de faire un roulement jour-nuit pour compenser le manque d’effectifs », s’alarme par exemple Fatima Guelmane, 37 ans, infirmière depuis treize ans à l’AP-HP. « Si la réforme passe, ajoute-t-elle, on ne pourra plus avoir deux jours de repos consécutifs lorsqu’on travaille le week-end. Cela aura un impact sur nos vies privées. » « Ils parlent de supprimer notre pause repas ou de réduire notre temps de transmission », ajoute Pauline Peintre, 25 ans, l’une de ses collègues.

Pour l’instant, au siège de l’AP-HP, on s’engage seulement à ne généraliser ni la journée de 7 heures ni la journée de 12 heures. Mais une piste est privilégiée : faire passer la journée de travail, actuellement de 7 h 50 ou 7 h 36 pour une majorité de salariés, à 7 h 30. Une réduction du temps de travail quotidien qui permettrait de supprimer cinq journées de RTT, les faisant passant de 20 à 15. Un moyen de faire baisser le nombre important de RTT non prises stockées sur les comptes épargne-temps.

« On n’a pas l’œil rivé sur notre montre en partant le soir, il n’y a pas de pointeuse ici, raconte Clotilde, une infirmière gréviste, qui ne souhaite pas donner son nom. Travailler vingt minutes en moins ne présente aucun avantage, on ne verra pas la différence. En revanche, on a besoin de tous nos jours de repos pour ne pas se retrouver en burn out. On nous en demande beaucoup, de plus en plus, avec des conditions de travail qui ne sont pas optimales… »

A Tenon, pour faire face aux deux pics d’activité de la journée, à 11 heures et 16 heures, et recevoir dans les meilleures conditions les 30 à 40 patients qui sortent chaque jour des blocs opératoires, les infirmiers et les aides-soignants arrivent en cinq vagues successives, entre 6 h 15 et 13 h 20, en plus de l’équipe de nuit, présente de 21 heures à 7 heures du matin. Les infirmiers anesthésistes travaillent, eux, neuf heures par jour, de 7 h 30 à 16 h 30, quatre jours par semaine.


« C’est mon Tetris »


« Je n’ai pas l’impression d’être contrainte par les horaires des professionnels », relativise Anne Picard, la cadre de santé chargée d’élaborer les plannings du service réanimation de l’hôpital Tenon. « C’est mon Tetris », sourit-elle, en désignant les tableaux colorés qui permettent la bonne marche du système. Elle reconnaît cependant qu’il lui arrive « plusieurs fois par mois » de demander à des salariés de revenir travailler sur leur jour de repos.

Derrière son bureau, au 7e étage du bâtiment, le Dr Francis Bonnet, le chef du service, prend ses distances avec le projet. « Ce n’est pas une réforme initiée par une problématique médicale », lance-t-il avant de mettre en garde : « Réduire la journée de travail peut créer des problèmes de fonctionnement, cela peut diminuer le temps de communication d’une équipe à une autre. Il va falloir s’adapter, trouver des arrangements pour préserver une qualité de communication. »
Loïc Capron, qui dirige la commission médicale d’établissement de l’AP-HP, annonce pour sa part un soutien massif à Martin Hirsch. « Le temps de travail doit devenir plus fluide, plus logique, mieux adapté à la demande de soins, plaide-t-il. Avec les RTT, les repos, l’intérim… le planning est un enfer total aujourd’hui. » Entre le soutien fragile du gouvernement et le refus des syndicats de « négocier un recul social pour les agents », le chemin de Martin Hirsch s’annonce bien étroit ces prochaines semaines.

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