vendredi 3 avril 2015

Les faux-semblants de la fessée

ONDINE MILLOT

La voix est douce, presque tendre. «Donner une petite tape de temps en temps à sa femme n’est pas dramatique. La plupart du temps, on ne fait pas exprès, c’est sous le coup de la colère, d’une bravade de sa part. L’important est de ne pas frapper trop fort, et que cela ne devienne pas systématique.» Olivier Maurel, 76 ans, professeur de lettres à la retraite, est un humaniste, un non-violent. Mais lorsqu’il se heurte à l’incompréhension dans sa lutte contre les châtiments corporels aux enfants, il peut avoir recours à ce genre de provoc. «Cette phrase sur battre sa femme est choquante, tout le monde en convient. Mais si vous remplacez le mot "femme" par "enfant", alors vous l’entendrez prononcer sans que personne ne s’en indigne. Pendant des siècles, il a été considéré comme normal de frapper ses domestiques, ses employés, sa femme, ses animaux. Aujourd’hui, tout cela nous paraît aberrant… Sauf pour les enfants.»
Fondateur de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire (1), Olivier Maurel est un militant investi d’une cause qui en rallie encore peu. Il est l’auteur de nombreux livres expliquant pourquoi il n’existe pas de«bonne fessée», pourquoi autoriser comme le fait la France un «droit de correction» des enfants alors qu’il est interdit de frapper une personne et même un animal est un archaïsme aux lourdes conséquences. Aujourd’hui paraissent une réédition augmentée de son ouvrage la Fessée et un essai, Vingt Siècles de maltraitance chrétienne des enfants. A un mois de la journée de la non-violence éducative, le 30 avril, et après la condamnation de la France par le Conseil de l’Europe pour n’avoir pas banni les châtiments corporels, rencontre avec l’auteur et déconstruction de cinq préjugés.

Fesser un enfant, c’est de l’éducation
Olivier Maurel a 6 ans lorsque les avions allemands bombardent sa ville, Toulon, pour la première fois. Dès l’adolescence, il milite dans des mouvements antimilitaristes. A 49 ans, en lisant les livres de la psychanalyste Alice Miller, il a un «déclic» : «J’ai réalisé qu’avec la lutte contre l’armement, je ne touchais qu’à une des conséquences de la violence. Alors qu’en m’intéressant aux violences éducatives ordinaires, j’allais à la source. Frapper quelqu’un en lui disant que c’est "pour son bien", c’est donner une justification à la violence. Si, dans une situation d’opposition avec un enfant, on a recours à une tape, on inscrit dans son cerveau l’idée que frapper est un mode de résolution des conflits. Et on contredit une règle d’or de l’éducation : "Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse à toi-même."»
Légiférer sur la fessée, une intrusion dans le privé
Alors que 20 des 28 pays de l’Union européenne ont interdit les châtiments corporels, la France fait figure de retardataire. Chez les partisans du statu quo, la conviction est ancrée de défendre une«liberté» contre une immixtion de l’Etat dans la sphère familiale.«Pourtant, dans les pays qui ont adopté une telle mesure, aucun affaissement de l’autorité parentale n’a été constaté», dit Olivier Maurel. Aucune sanction supplémentaire à celles existant déjà contre la maltraitance n’accompagne de telles lois. «Il ne s’agit pas d’envoyer les parents en prison, mais d’avoir un fondement pour une politique de sensibilisation. Si rien n’indique qu’il ne faut pas frapper ses enfants, comment ne pas reproduire ce qu’on a vécu ?»
Interdire les châtiments, c’est sacrer l’enfant roi
Etudes et observations montrent au contraire que les enfants les plus «intenables» sont ceux qui ont été frappés, souligne Olivier Maurel. «Ne pas taper les enfants, c’est un minimum à leur accorder, qu’on accorde aux adultes. Cela n’empêche qu’il y a des situations où il faut savoir dire non, des choses à interdire. Les parents doivent différencier les besoins et les désirs. Ne pas être battu, c’est un besoin. Avoir tel jouet, c’est un désir, qui peut être retardé ou refusé.»
On a tous reçu une fessée et c’était bien mérité
«Beaucoup de violences viennent d’une méconnaissance des étapes de l’évolution des enfants, affirme Olivier Maurel. Dire qu’un bébé fait un caprice ou qu’il "manipule" ses parents, ça n’a pas de sens : il n’en a pas les fonctions cognitives. Taper un enfant sur la main parce qu’il touche à un objet interdit, alors même qu’il est au stade de son développement où il apprend par le toucher, c’est tout aussi absurde. Les malentendus de ce type sont nombreux : à 2 ans, un enfant n’est pas capable de ranger sa chambre, traverser la période du "non" est quelque chose de positif pour son développement, etc.»
Tout ce qui ne tue pas nous rend fort
Faux encore, rétorque Olivier Maurel. «Les travaux sur le cerveau montrent que les connexions entre neurones ne se font pas de la même manière chez un enfant qui grandit dans la confiance ou dans la crainte. Les coups influencent le développement de manière négative. La libération d’hormones liées au stress permet de fuir ou de se défendre mais, lorsque ces deux réactions sont impossibles, le stress devient nocif pour l’organisme. Un enfant frappé fait avant tout l’apprentissage de sa propre faiblesse, et de la soumission.»

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