vendredi 17 avril 2015

Le patient, le médecin et la mort

18/04/2015




Paris, le samedi 18 avril 2015 – Le 17 mars a été adoptée en première lecture la proposition de loi des députés Alain Clayes (PS) et Jean Leonetti (UMP) créant de « nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie». On le sait, la proposition phare de ce texte adopté par 436 voix (et 86 voix contre) est l’instauration d’un droit à la sédation profonde et continue pour accompagner l’arrêt de traitement à la demande du patient. Critiqué tant par les opposants à l’euthanasie que par ses partisans, cette loi fait pourtant l’objet d’un consensus politique et également médical. Un sondage réalisé sur notre site a en effet mis en évidence qu’une majorité de professionnels de santé, 62 %, se déclare favorable à l’instauration de ce droit à la sédation profonde et continue.

La relation médecin/malade dans ce qu’elle a de plus ultime

Ceux qui militent en faveur d’une légalisation de l’euthanasie en France à l’instar de ce qui prévaut aux Pays Bas et en Belgique regrettent fréquemment que la question de l’accompagnement de la fin de vie soit trop systématiquement appréciée à travers le point de vue médical. Selon eux, il existe une réelle fracture entre le désir des patients (et citoyens) et les convictions des praticiens sur ces sujets. Sur son blog consacré à cette thématique de la fin de vie, Jacqueline Jencquel, responsable de l’antenne vénézuélienne de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) l’illustre encore une fois. Commentant les résultats de notre sondage, elle s’interroge : « Si cette pratique semble convenir aux médecins, qui se préoccupe de savoir si elle convient aussi aux malades ? Ce n’est pas ce qui ressort de tous les sondages réalisés depuis des années sur ce sujet » conteste-t-elle. Pour Daniel Carré, également militant au sein de l’ADMD, l’amélioration de la fin de vie passe par la construction d’une nouvelle relation entre médecins et patients. Sur son blog hébergé par Mediapart, il juge tout d’abord que « la proposition de loi traduit un manque de confiance envers celui qui est confronté à sa propre fin », notamment parce que le texte introduit des limites au caractère opposable des directives anticipées. Concernant le rôle des praticiens, il souligne : « Le médecin se retrouve trop souvent seul dans l’exercice de sa mission. Il est lui même désespéré de ne pas supprimer chez son patient la peur de la souffrance ou de la mort. (…) Le médecin fournit de l’aide, mais pas le salut que lui demande le malade face à sa mort prochaine. Les professionnels de santé doivent admettre les limites de leurs capacités et reconnaître que la maladie et la mort font partie de la condition humaine. Ils doivent résister à cette grandiose ambition que personne ne peut remplir, le pouvoir de vaincre définitivement la souffrance et la mort. L’arrivée d’une médecine prédictive et personnalisée implique la mise en place de la coopération soignant/soigné (…). Pour la fin de vie, la coopération soignant/soigné est encore plus importante. Il est indispensable qu’une confiance s’établisse, dans une relation "hiérarchique" de soignant à soigné qui se transforme en une relation "égalitaire" de personne à personne. Il s’agit du destin du malade, qui, face à la mort qui s’annonce, doit avoir la maîtrise du moment et de la manière. Sa volonté est essentielle quand le soin ne peut plus être qu’apaisement apporté par le soignant, en cet instant unique et tragique, les derniers instants d’un être humain » écrit-il.

Les "voleurs de fin de vie"

Tant Jacqueline Jencquel que Daniel Carrè, sans violence mais avec une certaine intransigeance, suggèrent la constitution d’une "rupture" irrémédiable entre les médecins et les patients, à l’approche de la mort ; en reprenant l’antienne selon laquelle les praticiens pour la plupart se refusent à admettre qu’ils sont impuissants face à la grande faucheuse.
Le témoignage des praticiens est cependant très différent. Cité par le blog de Jacqueline Jencquel et critiquant le projet de loi d’Alain Claeys et Leonetti, le docteur Jean Pierre Dickès remarque ainsi : « Il est écrit à propos de la nouvelle loi que le " texte veut remettre la volonté des patients au cœur des décisions sur leur fin de vie". Désolé ! L’immense majorité des médecins a toujours tenu compte de la volonté des malades ». Les réflexions du docteur Dickès rejoignent celles du spécialiste de médecine palliative auteur du blog ten0fiv.
Ce dernier ne se contente pas de rappeler qu’un dialogue constant existe avec les patients et les proches, il met en lumière la complexité de ces questions et évacue l’utopie d’un débat manichéen entre ceux qui seraient pour l’euthanasie et ceux qui seraient contre. Il souligne d’ailleurs que les situations d’affrontements frontaux sont rares. « Je n’ai pas d’exemple où l’hospitalisation s’est mal passée, car aussi passionnés soient les gens dans leurs convictions dès l’instant où existe un espace de dialogue entre deux personnes qui arrivent à partager, il n’y a pas de dogmatisme », avant d’ajouter plus loin à propos d’un cas particulier : « La situation n’est pas aussi limpide, ce serait trop facile sinon, avec d’un côté les " voleurs de fin de vie"  que nous serions, de l’autre un patient ayant exprimé ses souhaits et une famille garante qu’ils soient suivis ». Plus largement, à propos de ce que certains appellent la "confiscation" de la fin de vie par la médecine, il observe : « Là, le caducée se mord la queue, si les personnes en fin de vie bénéficient d’une qualité de vie acceptable, c’est en grande partie parce que la médecine existe. Si l’on démédicalisait totalement les patients en fin de vie, l’ensemble des symptômes surgirait de nouveau. La question reviendrait donc alors à médicaliser juste ce qu’il faut sans que cela ne soit visible et donc, pas nécessairement à l’hôpital », note-t-il.

Peut-on seulement bien mourir ?

Les réflexions de l’auteur de ce blog ne concernent pas seulement les relations médecin/malade autour de l’accompagnement de la fin de vie. Elles interrogent également la notion de "mal mourir" et de "bien mourir". Ces analyses lui permettent en filigrane de remarquer une nouvelle fois les différences entre certaines positions militantes et les observations quotidiennes du médecin. Les défenseurs d’une légalisation de l’euthanasie, lorsqu’ils s’intéressent aux méthodes palliatives les plus poussées (très rarement mises en œuvre) observent que même dans de telles conditions, ils continueraient à vouloir mourir différemment. L’auteur de ten0fiv constate cependant : «Les gens qui à la fois ne souffrent pas et demandent à mourir ne sont pas légion ». Ce point n’est cependant pas l’essentiel de ses plus récentes réflexions. Elles se concentrent sur la très difficile délimitation du "mal mourir". « Mal mourir qu’est-ce ? Mourir douloureux? Perclus de symptômes ? Angoissé ? Diminué ? Incontinent ? Mal pris en charge ? Dépossédé de ses moyens ? Déprimé ? » énumère-t-il avant plus loin de revenir : « Qu’est-ce que serait le bien mourir ? Naïvement, je dirais que c’est ne pas mourir du tout. Ou mourir "proprement", en apoptose, sans automne, sans déclin, sans souffrance, sans surprise, sans solitude, sans "déchéance" (…). C’est mourir en pleine forme, du moins pour une grande partie de la société. Il est beaucoup question de craintes des deuils futurs dans le mal mourir. Deuil de ses capacités, deuil du contrôle de la trajectoire de sa vie, idée qu’il faudra s’en remettre totalement à autrui, deuil de ce que l’on est aujourd’hui, de la place que l’on occupe, de ce que l’on représente pour les autres, idée que l’on abandonne ses proches également, et pire, qu’ils vont s’en remettre et survivre, sans nous. Alors on essaie de ménager cette angoisse comme on peut, et on fuit en avant, avec une loi. Dans la balance, il y a le sacrifice de ce qu’on appelle les mécanismes de défense ou d’adaptation –je radote- qui sont censés permettre à tout un chacun de s’adapter à une situation pour peu qu’on lui en laisse le temps », observe-t-il. Aux yeux de l’auteur du blog, le "temps"  est en effet un facteur essentiel, à ne pas négliger. « Face à une souffrance réfractaire, c’est-à-dire face à un symptôme qui résiste à tout, une équipe va, avec l’accord du patient, mettre en œuvre une sédation. (…) Il n’y a pratiquement qu’un seul symptôme qui appelle la sédation aujourd’hui, c’est celui de souffrance totale. (…) Pour la reconnaître, aussi massive soit-elle, il faut être plusieurs, il faut du temps, de l’énergie, de la concertation. La sédation permet parfois de remettre les compteurs à zéro. Parfois non. Les soins palliatifs, comme le reste de la médecine, ont une obligation de moyens. Et le premier moyen qu’elle se donne, c’est de prendre le temps. Un luxe de temps. Et donc, face à ce rare patient en souffrance totale, pour lequel une sédation temporaire serait inefficace, il peut y avoir une impasse. Mais cette impasse n’est pas l’échec qui doit faire remettre en cause tout le système, parce que cette impasse, on peut la mesurer, l’appréhender, l’expliquer, l’étudier, et proposer autre chose d’encore plus adapté. Mal mourir ce serait cela, ce serait mourir sans que personne n’ait pris le temps de se pencher sur la personne que vous êtes », juge-t-il avant de conclure que pour « contrer » la crainte du mal mourir à l’échelle individuelle est proposée une « loi à l’échelle nationale. Une loi qui rappelle les moyens à mettre et qui, potentiellement, empêche le temps d’être pris ».
Aurélie Haroche

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