vendredi 3 avril 2015

À l'Institut mutualiste Montsouris, les patients se rendent à pied au bloc opératoire

En soi, l'initiative paraît tellement évidente qu'on s'étonne encore qu'elle demeure confidentielle. L'idée qu'un patient puisse se rendre de lui-même, sur ses jambes et non par brancard, sur sa table d'opération est en passe d'être généralisée à l'Institut mutualiste Montsouris. Après la chirurgie ambulatoire, le bloc central suivra cet automne.

Je marche, tu marches, il marche, nous marchons, vous marchez, ils marchent... À l'Institut mutualiste Montsouris (IMM), dans le 14e arrondissement parisien, ce credo se conjugue au présent depuis l'automne dernier pour 27% des patients opérés en chirurgie ambulatoire. À l'instar de ce qui existe d'ores et déjà au Centre Léon-Bérard à Lyon, à l'Institut Paoli-Calmettes à Marseille ou encore au sein du service de chirurgie digestive de l'hôpital Édouard-Herriot des Hospices civils de Lyon, ceux-ci peuvent en effet désormais déambuler sur leurs deux jambes sur la quinzaine de mètres de couloirs qui séparent leur chambre d'accueil de la table d'opération. Finie cette vision pas franchement rassurante de néons et plafonds qui défilent sous les yeux d'un patient allongé sur un brancard en direction du bloc opératoire, voire accoudé sur un brancard le dos un peu tordu pour tenter de voir devant et non dessus. Finie elle aussi ce temps passé dans un sas à la fausse allure de salle d'attente aux côtés d'autres patients brancardés avant que la salle d'opération se libère. Finie enfin cette bascule du brancard à la table d'opération du patient mais surtout de ses fesses, souvent à l'air à cause d'une blouse grande ouverte sur le bas du dos... À l'IMM, le patient vêtu d'habits fermés jetables (pantalon, chemise, charlotte et chaussons recouverts de surchaussures), et donc les fesses au chaud, quitte à pied sa chambre accompagné d'un brancardier, qui ne brancarde plus que de nom mais le guide jusqu'à une salle d'attente à l'entrée du bloc opératoire. Sur un air de classique ou de jazz, magazine en main, il y attend au calme son heure. Quand celle-ci survient, c'est généralement le chirurgien qui se déplace en personne pour l'amener jusqu'à la table d'opération. Et là, un petit marchepied permet à l'opéré d'y monter de lui-même.
En soi, le couloir à déambuler ne fait guère ici plus d'une quinzaine de mètres mais cela suffit amplement à calmer l'état de stress des patients.
En soi, le couloir à déambuler ne fait guère ici plus d'une quinzaine de mètres mais cela suffit amplement à calmer l'état de stress des patients.

97% 








 97% des  patients saluent le respect de leur intimité

Depuis octobre et le début de cette expérimentation, 872 patients ont pratiqué la marche à pied en bloc opératoire, soit 27% des 3 261 patients de l'unité de chirurgie ambulatoire de l'IMM, confient les deux promoteurs du projet, le Dr Olivier Untereiner, anesthésiste-réanimateur, et Guylaine Rossel, cadre de santé. Ce delta tient au fait que certains patients ambulatoires sont encore opérés au bloc central de l'institut, qui n'est pas encore concerné par le projet patient debout. En outre, les actes d'endoscopie sont effectués sur brancard et ceux d'ophtalmologie sur fauteuil, empêchant là aussi d'associer ces patients. En revanche, s'agissant des patients ciblés par la démarche, aucun refus si ce n'est un, voire deux, n'est à signaler. D'ailleurs, le questionnaire de satisfaction adressé après coup fait état pour 98% des usagers d'un mode de transfert adapté à leur état de santé, pour 97% d'un respect de l'intimité et pour 84% d'un mode de transfert qui serait à renouveler en cas de nouvelle opération. Et ce satisfecit vaut pour des personnes dont l'âge court de 15 à 90 ans avec une moyenne d'âge à 43 ans. Comme le relatent Olivier Untereiner et Guylaine Rossel, tous parlent spontanément d'un "déstress", d'une anxiété qui est moindre, de discussions qui s'engagent avec le chirurgien... "On est moins passif, on se sent maître de notre destin", confie d'ailleurs l'un de ces patients ce 27 mars de retour dans sa chambre après opération. Naturellement, pour déambuler, l'usager conserve ses lunettes et son éventuel bloc auditif. Et loin des idées reçues, les hygiénistes n'ont pas crié au loup devant ce projet, compte tenu du fait que le risque de contamination s'avérait moindre à pied qu'en brancard. Toutefois, une telle initiative, et les deux professionnels insistent là-dessus, ne peut s'envisager sans une dynamique d'équipe qui sache pleinement associer en amont infirmiers, aides-soignants et brancardiers.

En arrière-plan, la chirurgie fast track...

Derrière cette idée de patient debout, c'est cette notion de récupération rapide des patients après chirurgie (RRAC), également appelée chirurgiefast track, qui apparaît, avec l'idée qu'un patient se remettra d'autant debout plus tôt qu'il est couché plus tard. Cela amène également à réfléchir au bien-fondé d'une prémédicalisation clinique avant le bloc opératoire, sauf exception inutile, glisse le Dr Olivier Untereiner, citant une récente étude menée à l'hôpital la Timone à l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM). Une habitude prise à une époque où l'anesthésie-réanimation était moins performante et plus stressante mais qui amène des retards dans le réveil des patients.

Un circuit du brancardage qu'il importe de repenser

En effet, ce n'est pas tant les chirurgiens qu'il s'agit ici de convaincre, ceux-ci ne voyant leur patient qu'au bloc opératoire voire même uniquement sur la table d'opération. En revanche, le changement relationnel qu'implique un patient actif, et forcément plus ouvert à discussion, peut susciter de prime abord certaines réticences chez les brancardiers. S'ajoute à cela la nécessité de dégager de la vue du patient certains sacs poubelles jusqu'alors non visibles sur brancard. Faute de ne plus pouvoir contrôler le brancard, la gestion de l'attente devient aussi cruciale. La blouse ouverte a aussi dû être changée pour des kits jetables à un euro uniquement déchirés une fois le patient endormi, une blouse en papier lui étant ensuite remise. Plus globalement, c'est le circuit du brancardage qu'il importe de repenser, le patient arrivant certes sur ses pieds mais repartant sur brancard de la table d'opération. Un travail organisationnel extrêmement chronophage. Raison pour laquelle une démarche pourtant à mille lieues de la complexité des grandes découvertes scientifiques prend pourtant des mois à se mettre en place. Passée l'unité de chirurgie ambulatoire, où le projet patient debout est désormais pleinement opérationnel, c'est vers le bloc central et sa chirurgie conventionnelle que les pas se tournent à l'IMM*. Et là c'est une toute autre paire de manches, avec douze patients opérés sur un même créneau horaire — contre six en ambulatoire —, des chambres réparties sur plusieurs étages nécessitant des trajets à pied par ascenseurs avec deux patients par brancardier, des sites d'injection verrouillés sur les bras, etc. En octobre seront d'abord concernées les chirurgies digestives, urologiques et gynécologiques, soit deux étages d'hospitalisation. Plus tard suivront la chirurgie cardiologique et vasculaire ainsi que l'orthopédie.
Thomas Quéguiner
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* En parallèle, une étude de dix-huit mois portant sur les patients debout/couchés d'ambulatoire et ceux couchés d'hospitalisation complète est en cours, financée par la Fondation de l'avenir.
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Depuis octobre 2014, 27% des patients de l'unité de chirurgie ambulatoire ont suivi le projet patient debout, le taux de satisfaction frôle les 100%.

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